Fourbus après un vol Miami-Newark, avec 5 heures de retard, nous nous glissons avec soulagement dans le Lyft de Bob.

Trump n’est pas encore en fonction et nous avons profité avec candeur de la piscine et du soleil de Miami entre deux rendez-vous professionnels. Nous retrouvons la nuit froide new-yorkaise.

Nous racontons notre vol épique à Bob qui compatit et puis la discussion vire inévitablement vers la politique et vers le désastre qui a déjà commencé à se dessiner à coups de tweets enrageants.

Bob tâte le terrain au début avec des remarques et des questions semble-t-il innocentes. Puis, la parole se libère en un flot qui raconte la frustration, la souffrance et la colère. Bob s’appelle en réalité Mohsen. Il est Américain d’origine égyptienne. Lyft a accepté de changer son nom sur l’application car ses courses étaient annulées par les clients dès qu’ils voyaient son nom s’afficher sur l’écran, parce qu’il se faisait insulter de plus en plus. L’élection de Trump a légitimé un racisme décomplexé et brutal.

Il nous raconte une course qui s’est terminée durement: une jeune femme rentre dans son taxi et lui annonce de but en blanc que son mari est flic et que s’il ne conduit pas comme il faut, elle l’appellera et il lui en fera baver. La brutalité des premiers propos entraînant une folie enragée, elle continue sa diatribe en répétant que maintenant que Trump est Président, il faut qu’il file droit ou qu’il rentre chez lui. Mohsen nous dit alors qu’il lui a répondu qu’il était Américain et chez lui ici. Je pense que cela a ajouté du fuel à son fiel. Il a fini par lui demander de descendre sous une pluie d’insultes. Il nous raconte ensuite comment sa femme, qui porte un voile, s’est faite copieusement insulter au supermarché et que maintenant elle n’ose plus sortir de chez elle.

Nous rentrons à la maison emplis d’une colère rentrée, après avoir partagé des paroles de soutien avec Mohsen. Après avoir vidé nos bagages, s’être préparés à dormir, nous jetons un rapide coup d’œil à notre timeline Facebook et là, la colère s’exprime, nous ne dormons plus, nous débattons, nous hochons la tête avec incrédulité et une furieuse envie de vomir. Les attaques contre les Musulmans, les gays, les Juifs, les femmes se multiplient aux États-Unis. Les partisans de Trump et de Bannon se croient à présent complètement autorisés à agir comme bon leur semble et leur racisme, leur haine et leur ignorance crasse se déchaînent et se débrident. Les vitres de certains wagons du métro de NY se couvrent d’insultes antisémites et islamophobes, les voiles et les kippas rasent les murs et les vidéos d’agressions s’enchaînent sur les réseaux sociaux.

Sur l’écran lumineux, s’égrènent les noms des nominés de Trump : Betsy DeVos – partisane acharnée de l’école privée – à  l’Éducation,  Ben Carson – neurochirurgien pédiatrique et neurasthénique – au  Logement social alors que lui-même se dit incompétent, Scott Pruit – défenseur obstiné du pétrole – à  l’Environnement, Tom Price – opposant tenace de l’Obamacare et va-t-en-guerre contre l’avortement – à la Santé et la liste improbable continue longtemps ainsi.

On veut croire à une blague de mauvais goût mais la colère bout et se libère lors de manifestations organisées quotidiennement dans tout New-York. Nous y allons les week-ends au milieu de chapeaux en laines aux oreilles de chat (référence à l’absolument inélégante remarque de Trump sur l’intimité des femmes), de couples gays qui se serrent dans les bras, de peur que cela leur soit bientôt interdit, de parents portant sur leurs épaules la future génération d’énervés…  Nous reprenons espoir.

 

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