Nous quittons Memphis dans notre grand camion, après une dernière ballade dans la ville, sans avoir rencontré Tom Sawyer, pêchant dans le fleuve Mississippi, coté Missouri.

Prochaine destination, une National Forest : Holly Springs. Cette forêt fait partie de la Chewalla Lake Recreation Area dans l’Etat du Mississippi, connue pour ses activités de pêche et de canoë.

Le nom vient de la langue Choctaw, “Chiho-la,” qui signifierait « être suprême ». C’est un site sacré pour les populations autochtones qui avaient, parait-il, construit une butte cérémoniale là où le lac s’étend à présent. Le monticule a été depuis déplacé en surplomb de l’étendue d’eau.

Nous garons notre camping-car à l’emplacement que nous avons réservé, entre deux immenses arbres presque pourpres. Le camping est pratiquement vide.

Les avis sur Internet décrivant l’endroit comme délabré et régulièrement vandalisé ainsi que le meurtre d’un vacancier en 2017, ne nous ont pas arrêtés.

Le Mississippi compte 480 000 hectares (4 800 kilomètres carrés) de terres forestières d’une grande diversité. Nous avons opté pour Holly Springs uniquement parce qu’elle elle se situait sur le parcours que nous avions dessiné sur une carte.

Après avoir diné tôt, nous décidons de nous dégourdir les jambes en descendant le petit chemin forestier jusqu’au lac. Il n’y a aucun autre vacancier autour de nous et sous la brise douce du printemps, le lac est calme.

Demi-Portion et Numéro Bis courent vers le ponton dont les poteaux de soutènement me paraissent dangereusement vermoulus par le ressac. Le plancher est mal entretenu, des clous rouillés dépassent par endroit, des planches vacillent et une compagnie d’araignées tient conférence à l’angle d’un garde-corps.

Mais la vue est magnifique sous le soleil descendant. Un marin d’eau douce fait doucement glisser sa barque sur les ondes qui scintillent.

Nous repartons vers le camping-car alors que la nuit s’apprête à tout recouvrir de sa torpeur. Sous nos pas crissent des pommes de pin.

Le lendemain, avant de reprendre la route, nous nous équipons pour une randonnée dans la Forêt Nationale adjacente.

Nous pensions qu’une National Forest bénéficiait des mêmes protections qu’un National Park avec rangers à la clef.  La suite nous montra que…pas exactement.

Les Forêts Nationales sont théoriquement protégées par le gouvernement fédéral américain et normalement leur gestion et leur maintenance incombent au Service des Forêts des Etats-Unis, dépendant du Ministère de l’Agriculture. Comme l’exploitation forestière est parfaitement autorisée, les responsabilités de ce Service des Forêts incluent la gestion des ressources et de leur exploitation, la protection de la vie sauvage et l’administration touristique. C’est très loin du niveau de protection des Parcs Nationaux que nous avions, par exemple, traversés l’année dernière.

Selon le classement de l’UICN (Union Internationale pour la conservation de la nature), les Parcs Nationaux sont en catégories 1 et 2 de protection quand les Forêts Nationales aux Etats-Unis sont bonnes dernières, en catégorie 6.

Cette différence s’explique par l’origine de l’établissement du programme des Forêts Nationales, En effet, ce système a été mis en place à la fin du 19ème siècle pour régler des conflits entre des entrepreneurs et des propriétaires terriens inquiets de la dégradation de leurs terres par l’exploitation minière. Le système actuel de gestion de ces forêts est donc un compromis entre préserver la nature et l’habitat sauvage tout en assurant son exploitation.

On apprend que Holly Springs National Forest a été établie en tant que telle en 1936. Depuis cette date, plusieurs spécialistes du sujet s’accordent pour dire que face à l’accroissement exponentiel du tourisme, les services ne sont pas préparés.

Il y a eu plusieurs tentatives d’administrer le réseau de Forêts Nationales depuis la loi de 1976 et ce fut des va-et-vient entre les administrations démocrates et la volonté de préserver au maximum ces terres et les administrations républicaines cédant aux lobbys de l’exploitation forestière et des scieries.  

En effet, en 2005, sous le deuxième gouvernement de George W. Bush, les directives édictées par l’administration Clinton ont été balayées d’un revers de la main et les Forêts Nationales ont été livrées littéralement aux scieries pour les changer en bois de construction. Malgré une décision d’un juge fédéral rendant nulles et non avenues ces décisions, l’administration Bush a réitéré en 2007.

Aujourd’hui, les Forêts Nationales sont gérées par un ensemble de directives édictées en 2012 autour de trois piliers : les ressources naturelles, l’environnement et la communauté.

Le Congrès américain a créé en 1992 et finance en grande partie une Fondation dont la responsabilité principale est de maintenir les Forêts Nationales en impliquant les communautés voisines, indépendamment du Service des Forêts. Elle peut également chercher des financements dans le secteur privé. Cette Fondation participe donc chaque 17 septembre au « Jour National de Nettoyage » en mobilisant les citoyens. En réalité, il n’y a pas de plan solide pour nettoyer les Forêts nationales prises parfois pour des dépotoirs…

…comme hélas la Holly Springs National Forest !