Nous quittons les déserts du sud de l’Utah pour les vertes vallées conduisant à Salt Lake City. Nous dépassons un long train de marchandises qui serpente et dont les wagons sont estampillés Union Pacific. Je suis immédiatement replongée dans la série, hélas trop courte, Hell on Wheels.
Nous arrivons dans notre camping KOA au centre de la ville et mitoyen d’un motel tombé en décrépitude. L’enseigne tente bravement des vents contraires.
Nos voisins nous aiguillent pour brancher l’arrivée d’eau et une fois bien arrimés, nous prenons le tram pour Temple Square, le cœur battant de la capitale mormone. Hélas, une fois arrivés sur place, nous nous heurtons à des enceintes closes et à de hautes grilles cadenassées. Coronavirus oblige. L’Utah est classé jaune avec un peu plus de 13 500 cas et 139 morts pour 2 763 885 habitants. En revanche, Salt Lake City est orange (risque modéré) et déplore 74 morts. Selon les directives de l’Etat de l’Utah, le Temple Mormon aurait dû, selon toute vraisemblance, être ouvert. Nous découvrons de loin le tabernacle, le temple d’une blancheur immaculée et la « la ruche » – la maison de Brigham Young, de ses femmes et de ses enfants.
Devant le Centre de Conférence Mormon, nous rencontrons un garde de sécurité. Il nous raconte qu’il est retraité de son premier job – gardien de prison et qu’il a pris récemment ces fonctions de garde de sécurité pour « l’Eglise ». Il nous explique que financièrement, il arrive à s’en sortir parce qu’à sa retraite de gardien de prison, il peut ajouter son salaire actuel et qu’il bénéficie de deux couvertures santé même s’il doit toujours débourser de sa poche lorsqu’il se fait soigner. Il nous explique que ses enfants ne vont pas à l’université car c’est trop cher. Son aîné a trouvé un emploi à plein temps et que sa cadette, 21 ans, se marie cet automne, nous informe-t-il, comme pour nous indiquer qu’au moins deux de ses enfants ont assuré leur avenir. Des sirènes de police ponctuent notre conversation dans cette ville si calme et si proprette.
Joe nous indique que tous les jours de 6h à 9h du soir des manifestations contre les violences policières ont lieu au pied du Capitole à deux rues de là. Nous décidons donc de faire d’une pierre deux coups, de voir le Capitole et de participer à la manifestation. Avant de nous séparer, Joe nous demande si Demi-Portion parle anglais et français. Nous le lui confirmons en ajoutant qu’elle parle aussi espagnol car les assistantes maternelles de sa crèche sont hispanophones. Joe conclue « les Américains sont tellement ignorants ».
Nous nous dirigeons vers le Capitole. Les rues sont pentues « but not as steep as in San Francisco ». Le Capitole émerge, coupole blanche au cœur d’une pelouse d’un vert chlorophylle. Des « Black Lives Matter » nous parviennent de loin, que Demi-Portion reprend en yaourt. Nous finissons par nous joindre au rassemblement au pied du Capitole. Un rapide regard nous informe que la plupart des manifestants sont jeunes, blancs et portent tous les attributs clichés de la jeunesse rebelle : des t-shirts à message, des planches de skate, des bandanas. Ils se succèdent pour dénoncer les violences policières et le racisme institutionnel de la société américaine en demandant justice pour Bernardo Palacios-Carbajal, assassiné le 23 mai.
En quittant la manifestation, Baby Boy recherche sur Internet plus d’informations sur ce dernier. La vidéo de son exécution est particulièrement dérangeante. Comme toute exécution d’être humain, me direz-vous. On voit sur la vidéo, un jeune homme (22 ans), visiblement ivre, tituber avant de s’éloigner et de recevoir un nombre incalculable de balles (plus de 20) dans le dos. L’histoire officielle, c’est-à-dire celle des policiers, raconte que Bernardo aurait menacé de vol quelqu’un avec une arme de poing avant de s’enfuir. Les policiers auraient trouvé une arme à côté de son corps mais la vidéo ne montre absolument pas d’arme dans les mains de la victime.
Nous rentrons au camping en décidant de quitter Salt Lake City dès le lendemain. Sur notre route, nous croisons un jeune couple qui s’embrasse, le temple mormon en arrière-plan. Alors que nous tentons de prendre en photo le bâtiment, le couple engage la conversation. Ce sont deux jeunes Mormons qui reviennent d’un an et demi de volontariat à l’étranger. Ce fut la République tchèque pour elle et la République dominicaine pour lui. La jeune fille nous explique qu’elle a donné des cours d’anglais et appris le tchèque tout en menant le mieux possible ses missions de conversion. Elle a trouvé cette charge parfois éprouvante et stressante mais son enthousiasme à « partager ce en quoi nous croyons » était plus fort. Lui partage avec nous une de ses astuces, un argument massue « Dieu nous a donné 100% puisque c’est Lui qui nous a créé de toutes pièces. [L’Eglise Mormone] ne demande que 10% – c’est un bon deal ». En effet, l’Eglise Mormone demande à ses fidèles de contribuer à hauteur de 10% de leurs revenus par an.
Nous reprenons la route, direction Antelope Island State Park comme étape improvisée. Une longue route mène à une digue qui traverse le fameux Lac Salé. Antelope Island est l’une des dix îles que compte le Lac et en est la plus grande. Elle est pelée, balayée par les vents, brûlée par le soleil et bien évidemment grillée par le sel. Il y règne une drôle de lumière : l’île est comme voilée par une brume légère tout en renvoyant par sa roche blanche et ses buissons jaunis par l’astre chaud une forte luminosité. Y paissent en toute sérénité des bisons peu farouches, des antilopes longhorn aux fesses blanches et à la foulée élégante. Nous avons également partagé le chemin avec un long serpent et un coyote aperçu de loin sur le Lakeside Trail Loop (7,7 kilomètres).
Les bisons sont les habitants les plus populaires d’Antelope Island. Des reproductions grandeur nature trônent même à l’entrée du Parc. Douze spécimens ont été introduits sur ce territoire en 1893, se sont reproduits pour composer l’actuelle horde de plusieurs centaines de mammifères. Je suis émue d’en croiser car c’est un peu l’animal totem des Tribus des Premières Nations dans les Grandes Plaines. Avant l’arrivée des colons, les troupeaux comptaient semble-t-il 70 millions d’individus.
L’île mériterait qu’on s’y attarde une journée de plus mais notre périple continue vers le Montana et le Wyoming dont le bison est d’ailleurs le symbole.
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