Les Rocheuses sont une immense chaîne de montagnes qui traverse les Etats-Unis du Sud au Nord, du Nouveau-Mexique à la Colombie-Britannique.
Leur histoire fut mouvementée et elles sont à l’origine de certains des plus beaux paysages que nous avons parcourus pendant ce road trip et dont je vous ai déjà conté en partie les merveilles.
Nous abordons la descente et découvrons la partie sud des Rocheuses dont la première étape était le Colorado National Monument – un petit bijou qui se découvre après une longue route sur Squaw Pass Road. J’ai encore en tête la vue magnifique sur les pinèdes sans fin et les sommets enneigés. Je crois encore sentir l’odeur entêtante et sucrée des pins.
L’étape du jour est Capitol Reef et nous revoilà en Utah ! Le Parc doit son nom aux formations rocheuses blanchâtres en forme de dômes qui évoquent distraitement les capitoles des capitales américaines.
C’est un Parc qu’on traverse et qui semble moins bien entretenu que les Parcs nationaux que nous avons visités. La chaleur nous accable dès nos premiers pas sur le Old Wagon Trail (6,1 kilomètres) et nous nous assurons que nous avons assez d’eau pour étancher une soif qui s’annonce inextinguible.
Nous profitons de l’ombre de quelques genévriers pour apprécier à nos aises le charme indéniable des paysages grandioses qui nous entourent. Notre horizon est une succession de montagnes biscornues qui se surimposent dans une roche rouge, vert de gris, ocre et bleue.
C’est ce que le dépliant du parc appelle une « ride à la surface de la Terre ». Là encore, nous assistons émerveillés aux actions puissantes de la nature qui, patiemment au cours de millions d’années, a façonné ces paysages. Tout d’abord, ce fut l’alliance de l’eau, de déserts et de marécages qui ont permis la lente constitution de couches sédimentaires à la manière de fondations.
Puis, il y a 50 à 70 millions d’années, un frémissement de la Terre sous forme de mouvement tectonique a permis l’élévation de la roche au-delà de 2 000 mètres.
Enfin, comme nous l’avons observé lors de toutes nos pérégrinations, l’érosion a peu à peu sculpté ces couches rocheuses pour créer les dômes, les canyons, les caves et les ponts que nous voyons autour de nous.
Nous ne rencontrons absolument personne lors de notre randonnée et il règne un calme olympien à peine dérangé par les bruissements des ailes de lointains faucons pèlerins.
Nous avons du mal à imaginer que nous marchons sur un sentier emprunté jadis par les carrioles des premiers colons (wagons) tant le chemin est étroit, caillouteux et pentu.
Nous arrivons au bout d’une marche éprouvante face à un monticule qu’il faudrait grimper pour pouvoir apprécier d’autant plus la vue. J’hésite, surveille les sifflements de mon souffle asthmatique, lit une nouvelle fois le dépliant du Parc. Je soupire. Si j’avais été plus attentive, j’aurais noté que ce sentier de randonnée était classé parmi les plus éprouvants de Capitol Reef. Je jette un nouveau coup d’œil à la masse de roche devant moi, évalue silencieusement où mettre les pieds et les mains pour me hisser à son sommet. Baby Boy et Demi-Portion y sont déjà. Je me dis que maintenant que je suis là, autant y aller.
Un genévrier solitaire, perché, m’offre l’asile à l’ombre de ses branches touffues et piquantes. Je me demande un instant par quelles prouesses extraordinaires cet arbre va puiser dans les profondeurs de la terre l’eau dont il a besoin. Une fois assise, je profite du panorama absolument magnifique qui s’étend sous nos yeux. Il n’y a pas un bruit. Les lézards paressent silencieusement sur les roches chaudes et les autres animaux cherchent certainement un peu de fraîcheur dans des recoins loin des hommes.
De longs troncs d’arbres, tordus, brûlés par le soleil forment des sculptures dont le paradoxe est qu’elles sont immobiles mais paraissent animées tant leurs branches noueuses semblent s’agiter sous un souffle imperceptible pour nous.
Nous terminons la randonnée et reprenons la route pour rejoindre le centre du Parc – The Fruita Historic District. C’est assez étonnant de voir un Parc avec un quartier historique mais nous apprenons rapidement que le lieu regorge de traces de vie indigène et qu’il fut habité et dompté par une colonie mormone. Nous nous retrouvons subitement au centre d’un verger magnifique dans lequel on nous donne la permission de cueillir les quelques derniers abricots de la saison.
Telle une apparition, derrière un arbre, un jeune cerf se cambre pour attraper, lui aussi, quelques fruits pour son déjeuner.
Nous consacrons l’après-midi à l’exploration du sentier de randonnée conduisant au Hickman Bridge à l’est de Fruita.
C’est un pont naturel forgé par l’érosion et donc nécessairement éphémère. Le chemin qui y mène est là aussi superbe, tantôt étroit, tantôt complètement ouvert, les couleurs évoluent au fil de nos pas.
Le parcours nous entraine dans l’ascension d’une des côtes d’un canyon d’où nous pouvons admirer la vue sur des plateaux désertiques et croiser d’étranges grottes creusées dans la roche.
Le sol est d’abord caillouteux et d’un rouge profond puis devient graduellement ocre et se pare de petits monticules comme autant de maisons de lutins. Cela nous fait penser à Goblin State Park en miniature (si vous avez loupé l’article, il est là).
Le pont finit par apparaître devant nous, d’abord un peu caché par les roches et la végétation mais bientôt nous offre à admirer ses 41 mètres d’envergure.
Hickman Bridge
Le camping rustique de Fruita est complet. Baby Boy avait repéré à la sortie du Parc un camping accueillant les camping-cars. A notre arrivée, le camping semble abandonné, un vieux panneau indique pourtant qu’il est ouvert. Baby Boy téléphone au numéro indiqué sur la vieille cabine téléphonique d’un autre temps dont on s’étonne qu’elle soit encore debout.
Le propriétaire nous demande d’attendre qu’il arrive et nous souhaite la bienvenue.
Etant d’un naturel peu sociable, je laisse Baby Boy faire la conversation, lorsque le propriétaire arrive sur son quad, pendant que je veille sur Demi-Portion et Numéro Bis. Je remarque au fond à droite du terrain, un vieux bus qui a perdu ses pneus et qui semble avoir pris racine là où il a été posé. Je m’approche. Le bus semble habité. La porte bat au vent du soir et un tissu informe s’échappe au gré des ouvertures. Je finis par distinguer une masse lovée contre l’avant du véhicule. Celle-ci s’ébroue et fait sonner la chaine qui la retient à la carrosserie. Un jeune homme hirsute et pieds nus sort de la caravane. Je me rappelle alors que notre camping s’appelle Sleepy Hollow et l’histoire du cavalier sans tête me revient à l’esprit. Je regarde à nouveau l’habitant de ces lieux et m’assure qu’il a bien la tête sur les épaules. Je suis loin et il ne me salue pas. Baby Boy nous rejoint et me fait un compte-rendu de sa discussion.
Le propriétaire des lieux exploite une mine de sélénite de l’autre côté de la route. Il explique à Baby Boy que la sélénite entre dans la fabrication des murs et qu’il en fait aussi des objets. Il montre à Baby Boy des lampes qu’il vend à 200$.
Je soupèse le morceau de ce minéral donné à Baby Boy. C’est un cube blanc transparent, dur et léger.
Le jeune homme au fond du camping aide à l’exploitation de la mine en échange de quoi il a le couvert et le gîte.
Nous choisissons un emplacement au centre du camping adossé à un grand arbre. Entre chien et loup, nous dînons dehors profitant d’une fine brise qui adoucit un peu nos coups de soleil.
Le lendemain est consacré à une exploration des lieux où une présence humaine ancienne est attestée.
En effet, les roches portent les dessins des ancêtres de la tribu des Hopi, de la tribu des Paiutes et du peuple (pueblo) Zuni qui peuplaient semble-t-il la région entre 300 et 1300 ans de notre ère. Les Hopi font référence à ces ancêtres en les nommant les Hisatsinom, soit les gens d’il y a longtemps. Les Paiutes y font référence en utilisant le terme de Wee Noonts c’est-à-dire les personnes qui vivaient selon les anciennes mœurs. Une chose est sûre c’est que les peuples des Premières Nations, natifs de cette région, rejettent le terme communément utilisé par les archéologues européens et nord-américains qui désignent ces peuples anciens sous l’appellation de peuple de culture Fremont.
Quoiqu’il en soit, partout sont visibles les preuves que ces peuples vivaient là en parfaite harmonie avec la nature et étaient des chasseurs-cueilleurs. Ils vivaient dans des maisons troglodytes et avaient tiré avantage des caves naturelles dans la roche pour entreposer leur nourriture selon les saisons. Ils ont laissé derrière eux beaucoup de bijoux, de poteries, de paniers tressés et des dessins gravés dans la pierre.
Nous ne trouvons plus trace de leurs activités dans la zone après 1300 de notre ère. Les explications divergent. Le peuple Hopi est persuadé que leurs ancêtres ont continué leur migration, en tant que peuple semi-nomade, vers Tuuwanasavi – le centre de l’univers – situé dans les Mesas à quelques kilomètres du village Oraibi en Arizona.
A Capitol Reef, leur régime alimentaire s’était adapté bien évidemment aux conditions climatiques et ils avaient réussi à développer une variété unique de maïs devenue propre à la région. Ils complétaient leurs assiettes avec des courges, des haricots, des baies et des graines recherchées pour leurs vertus nutritives et curatives.
Les œuvres gravées ou peintes à l’aide de pigments naturels sur les roches représentent surtout des formes humaines dans leurs activités quotidiennes, comme la chasse, les événements spirituels, les voyages et la culture maraîchère. D’ailleurs, lorsque les colons mormons sont venus s’installer au bord de la rivière Fremont qui traverse Capitol Reef, ils ont trouvé un système d’irrigation intact et l’ont réutilisé.
On se rend ensuite au Belvédère panoramique qui nous offre une vue grandiose sur le Parc et nous parcourons le court sentier qui mène au Goosenecks. A 244 mètres sous nos pieds, serpente un canyon creusé par un affluent du fleuve Colorado. L’érosion ainsi provoquée a mis à jour une roche calcaire – Kaibab limestone – vieille de 270 millions d’années.
Goosenecks
Nous terminons la journée par une petite randonnée pour rejoindre the Sunset Point pendant laquelle nous croisons les Twin Rocks et nous trempons nos pieds échauffés dans les courants de la rivière Fremont accompagnés dans notre baignade par un gros et long serpent.
Nous garons notre camping-car sur un petit terrain de public land tout juste à la sortie du Parc. Nous sommes seuls, le soleil qui lentement descend se coucher baigne l’horizon d’une lumière dorée puis rose et enfin bleue.
Génial … J adore comment tu rends compte de votre trip!!! Je te reconnais tellement…