Lorsque nous quittons la rive nord du Grand Canyon, à l’aube, nous avons pour objectif de rejoindre la rive sud dans quelques jours. Le passage de la rive nord à la rive sud ne peut pas se faire en traversant simplement le canyon. Il faut effectuer un grand détour par le site de Lees Ferry – à côté de la ville de Page. Ce site fait partie de la National Recreation Area de Glen Canyon, jouxtant la Réserve Navajo.
Sur le chemin, sous un vent furieux, nous parcourons le Vermillon Cliffs National Monument, immense zone protégée entre le fleuve Colorado et le fleuve Paria. Un coyote solitaire cherche une maigre pitance.
Une seule route traverse cette étendue de plus de 1000 kilomètres carrés. Nous longeons ces formidables falaises rouge…vermillon. Cette route suit plus ou moins le tracé de l’expédition des Pères Francisco Anatasio Dominguez et Silvestre Velez de Escalante qui en 1776 avaient pour projet de rejoindre Santa Fe au Nouveau-Mexique à Monterrey en Californie (j’en parle aussi là) en convertissant des membres des Premières Nations au passage. Les peuples indigènes rencontrés pendant l’aventure les ont d’ailleurs beaucoup aidés à s’orienter et à se sustenter. L’expédition se révélant plus ardue que prévu, nos deux compères ont fait demi-tour, en ouvrant quand même la voie à l’exploration vers l’Ouest.
Vermillon Cliffs Vermillon Cliffs Vermillon Cliffs Vermillon Cliffs
La route 89 serpente entre ces hautes roches roses et rouges avant de déboucher sur une plaine immense balafrée d’un grandiose canyon. C’est Marble Canyon.
Si vous souhaitez continuer l’exploration des Vermillion Cliffs, je vous conseille la lecture des textes de la poétesse Sharlot Hall – grande défenseuse des paysages de l’Arizona.
Nous arrivons au Navajo Bridge qui enjambe les flots tempétueux du fleuve Colorado. Ce pont n’a pas grand-chose d’indigène.
Fun fact : le seul élément indigène du pont fut les danseurs d’une tribu native qui animèrent la cérémonie d’inauguration du pont
Dans les années 1870, la seule voie praticable pour relier la rive nord du Grand Canyon à la rive sud était d’emprunter un ferry qui faisait la navette sur le fleuve Colorado à l’entrée de Glen Canyon. Dans les années 1920, avec l’essor du transport automobile, il a fallu trouver une manière plus sure et plus pratique de transporter les automobilistes d’une rive à l’autre du fleuve. La construction d’un premier pont à hauteur de Marble Canyon débuta en 1927. Après plusieurs incidents, le pont fut ouvert au trafic routier en 1929.
Fun fact : Comme l’inauguration eut lieu pendant la prohibition, à défaut de champagne, on baptisa le pont – alors nommé Grand Canyon Bridge – avec une bouteille de soda au gingembre.
Après 66 ans de bons et loyaux services, le pont originel – éreinté par les passages incessants de véhicules de plus en plus lourds et de plus en plus larges – fut dupliqué quelques mètres plus loin (il fut cette fois-ci baptisé avec un seau d’eau du fleuve Colorado).
Au-delà de la prouesse technique et d’une sécurisation accrue pour les piétons, le pont offre une vue imprenable sur le long ruban du Colorado qui s’écoule 143 mètres plus bas.
Nous continuons à pied notre chemin autour du Marble Canyon et repérons un sentier de randonnée qui nous semble agréable : Cathedral Wash. Il tient son nom de la formidable formation rocheuse qui flanque son entrée et qui évoque les contours d’une cathédrale. On nous promet une petite balade aisée de 4,8 kilomètres au sein du canyon vers les flots du Colorado, dans un environnement majoritairement sec et sableux avec une centaine de mètres de dénivelé. On avance confiants. Au début, la progression au fond de ce canyon étroit est plutôt plaisante et la gorge est magnifique comme un long chemin gibbeux qui serpente.
Marble Canyon Marble Canyon
Peu à peu, le soleil monte vers son zénith et la chaleur commence lentement et surement à peser sur notre enthousiasme. Les détours et les lacets du sentier donnent un peu le tournis et les murs du canyon se rapprochent au-dessus de nos têtes, nous poussant à lever les yeux constamment comme pour s’assurer que le ciel est bien toujours là. On ne croise personne à part un joli lézard. Des bassins de boue remplissent la moindre cavité nous obligeant parfois à grimper et à escalader les parois du canyon.
Cathedral Wash Trail Cathedral Wash Trail Cathedral Wash Trail Cathedral Wash Trail
L’avertissement formulé sur le panneau à l’entrée me revient à l’esprit : « Cette aventure ne présente pas de difficultés particulières. Toutefois, crapahuter et préférer la prudence sont indispensables afin de choisir les itinéraires les plus surs pour négocier les arêtes et les fosses ».
On entend enfin la mélodie rassurante des flots du fleuve Colorado et on sent sa fraicheur avant de l’apercevoir. L’ouverture du canyon sur le fleuve est magique.
Quel bonheur de pouvoir quitter les chaussures de randonnée, relever les jambes du pantalon et plonger ses pieds extenués dans l’eau glacée des ondes qui semblent jouer à saute-mouton avec les roches.
Après s’être égayés dans les flots et avoir déjeuné assis dans les herbes hautes clôturant le lit de la rivière, nous reprenons, plein de courage, le chemin du retour. Sur le sentier, nous croisons bientôt un groupe de trois aventuriers et nous échangeons les astuces éprouvées pour cheminer prudemment.
Je suis toute ouïe et pourtant, au détour d’une saillie, je vais finir une jambe plongée dans la boue jusqu’au genou. Je me demande un instant si je vais réussir à extraire mon membre tant la succion de la vase est puissante. Baby Boy finit par me hisser (avec Numéro bis attachée à moi) et j’accroche mes mains à deux protubérances rocheuses.
Cathedral Wash Trail Cathedral Wash Trail Cathedral Wash Trail Cathedral Wash Trail Cathedral Wash Trail
Le temps de terminer le parcours et ma chaussure est sèche. Ce fut une balade éprouvante et pourtant prodigieuse.
Nous reprenons la route – 89A puis 89 – vers la destination finale de notre journée. On marque un arrêt à Horseshoe Bend – une ahurissante formation rocheuse érodée par le fleuve Colorado. Une longue file de curieux chemine en silence vers le site, dans une chaleur poussiéreuse. L’entrée est devenue payante depuis peu.
Le vent s’est levé et charrie des micro-grains rougeâtres qui voilent un peu l’horizon et donne à la scène une teinte surréaliste.
Horseshoe Bend Horseshoe Bend Horseshoe Bend Horseshoe Bend
Nous traversons la ville de Page qui nous accueille avec un panneau lumineux ordonnant le port obligatoire du masque – injonction assez rare dans le voisinage pour être remarquée.
Nous atteignons Lake Powell entre chien et loup. Lake Powell n’a rien d’une prouesse de la nature mais tout de la volonté de l’homme de dompter son environnement. Le fleuve Colorado est un fleuve impétueux qui débordait largement causant des inondations dans tous les territoires qu’il traverse avant d’être restreint par des barrages. Ces inondations permettaient de créer une terre fertile mais les hommes avides de territoires à coloniser ont entrepris de construire pas moins de 7 barrages et une douzaine d’autres ouvrages destinés à se prémunir des assauts du fleuve Colorado. Lake Powell est une conséquence directe de ces entreprises.
Lake Powell Lake Powell Lake Powell
La flore et la faune autour peinent à survivre et dans une tentative ubuesque, un groupe de scientifiques testent plusieurs options pour les sauver, comme de provoquer des inondations « maitrisées » en relâchant périodiquement de l’eau du barrage de Glen Canyon. Depuis quelques décennies, le niveau du lac baisse en raison d’un assèchement progressif de la zone.
Sous le lac se trouvent des centaines de vestiges du peuple Pueblo (ou Anasazi – certains groupes Pueblo rejettent ce terme car attribué à leur peuple par la nation Navajo). Pueblo est le nom donné à ce peuple par les colons espagnols qui admiraient leurs maisons en adobe. Ce peuple est en fait le regroupement de plusieurs communautés aux langues différentes (les deux tribus les plus importantes aujourd’hui sont les Hopi et les Zunis). Ses membres étaient majoritairement des fermiers.
Debra Haaland – Ministre de l’Intérieur de l’administration Biden – est une Laguna Pueblo.
Mais je m’égare… Le Lake Powell a été créé en 1963 et s’étend sur près de 300 kilomètres ce qui fait de lui un des plus grands réservoirs d’eau aux Etats-Unis. Il doit son nom à l’explorateur John Welsley Powell qui fut le premier homme blanc à descendre le fleuve Colorado – perdant plus de la moitié de son équipage pendant cette aventure qui se révéla particulièrement meurtrière.
Le paysage est absolument magnifique.
Nous nous endormons après une baignade rapide avant la tombée de la nuit.
Article tres bien écrit et qui nous transporte vers ces magnifiques paysages.👌👍👏👏