Nous débutons notre deuxième journée dans les Smokies par une incursion en territoire Cherokee.
Nous sommes dans le sud-est du Parc National, à la frontière naturelle tracée par la rivière Oconaluftee entre deux territoires indigènes : l’un accaparé et transformé en Parc National et l’autre en une réserve de 23 000 mètres carrés. D’ailleurs, la carte officielle, récupérée au centre d’information note bien que « le Parc National des Great Smoky Mountains occupe la terre traditionnelle du Peuple Cherokee (Tsalagi) ».
Nous passons devant une école et un terrain de sport dont les panneaux sont tous en langue Cherokee. On nous annonce que nous rentrons sur les terres d’une équipe féminine de basketball championne de l’Etat pour l’année scolaire 95-96.
Nous ne verrons pas de match de basketball mais nous nous arrêtons pour admirer le drapé perpétuel des eaux des Chutes Mingo. La multitude infinie de merveilleuses et uniques gouttelettes évoque des diamants aux mille et une facettes reflétant capricieusement le soleil qui est déjà haut dans le ciel.
Mingo signifie en Cherokee « Gros ours ». Certes, ces chutes d’eau n’ont pas la bonhommie apparente d’un ours mais, tombant de 37 mètres au-dessus du sol, elles sont parmi les plus hautes et les plus majestueuses des Appalaches.
Nous repartons vers le centre du Parc, en empruntant la Newfound Gap Road, un troupeau de cerfs se sustente au bord de l’asphalte. Nous garons notre camion sur le parking de Newfound Gap au pied d’un sentier de randonnée qui suit les Appalaches. Ce sentier débute en Géorgie et se termine dans le Massachussetts, traversant ainsi une grande partie de la côte Est des Etats-Unis.
Nous en avions déjà parcouru une partie lors de notre séjour dans le Parc national de Shenandoah (c’est ici pour revivre nos aventures en Virginie). Puis, lors de nos randonnées du weekend entre the Delaware Water Gap et Harriman State Park.
Les Appalaches souffrent d’une mauvaise réputation autour de mythes décrivant ses habitants comme des alcooliques peu éduqués dont la principale occupation serait la distillation d’alcools forts. Comme tous les stéréotypes, ils n’ont que peu d’ancrage dans la réalité. Mais une chose est sure c’est que la région des Appalaches dont la principale richesse (au-delà d’une nature à couper le souffle) fut les mines de charbon est une région extrêmement pauvre.
Le terme « Appalaches » viendrait du nom d’une communauté indigène qui au 16ème siècle vivait dans les environs de Tallahassee en Floride.
Aujourd’hui, le programme est de rejoindre le lieu du Jump Off. Le petit guide acheté la veille au centre d’information nous prévient : le sentier est escarpé, rocailleux et érodé. La montée sera verticale. Les bords de la falaise sont à découvert. Nous notons donc de ne pas nous pencher au-dessus du vide.
C’est parti pour une marche de 10.5 kilomètres dans une forêt dense de sapins, d’épinettes rouges et de pins. La vue des montagnes au départ du sentier est spectaculaire. La lumière est filtrée par le feuillage de ces arbres majestueux et confère à la balade un goût particulier. Au sol, les fleurs, les fougères, le lichen accompagnent chacun de nos pas.
Le chant métallique d’un junco ardoisé rythme notre ascension. En levant les yeux vers les branches d’un arbre, on aperçoit son petit ventre blanc rebondi. Il sautille bientôt devant nous d’une pierre à une autre, certainement à la recherche de coléoptères à grignoter.
Demi-Portion et moi, nous nous arrêtons bientôt en retrait du chemin pour attendre Baby Boy et Numéro Bis qui flânent quelques pas derrière nous. Une fois réunis, nous avalons nos sandwiches et de l’eau fraiche. Avant de reprendre notre ascension, nous laissons passer un couple de marcheurs dont les cheveux blancs brillent sous les rayons du soleil qui percent à travers les branches. Ils nous expliquent qu’ils montent de la sciure de bois pour les toilettes sèches du refuge tout en haut de la montagne. Ce sont des volontaires, amoureux de la nature. Ils sont impressionnés par les qualités de grimpeuse de Demi-Portion.
Lorsqu’ils disparaissent dans la forêt, nous reprenons notre chemin, vite salués par deux jeunes cerfs, l’un peu farouche et l’autre franchement timide.
Nous grimpons sans faiblir. On se retrouve bientôt à une fourche où le sentier va à droite en suivant le tracé des Appalaches. Nous choisissons d’aller à gauche, dans la direction de la Montagne Le Conte. S’élevant à un peu plus de 2 000 mètres, cette butte est l’une des plus hautes du Parc. Elle doit son nom à un géologue américain d’origine française. La piste se rétrécie et tourne un peu vers la droite. Nous attendons Baby Boy sur des petits rochers. Après nous avoir rejoints, il continue en s’aventurant dans un étroit passage sur la crête de la montagne encombrée de pins.
Mon corps est fatigué, mes cuisses, surprises par l’effort, refusent d’avancer. Je reste là, avec Demi-Portion et Numéro Bis dans le même état d’harassement, sans bouger. Les muscles peu à peu se détendent alors que nous regardons le soleil se préparer à son voyage vers l’autre hémisphère.
Baby Boy revient enthousiaste et m’encourage vivement à marcher encore quelques mètres vers le site précis du Jump Off. Je me laisse convaincre et mes pieds écrasent bientôt les aiguilles des épicéas qui tapissent le sol. Je me retrouve vite tout au bord de la falaise. Rien ne me retient contre le vide. Mon regard embrasse l’horizon puis je baisse les yeux vers l’immensité à mes pieds. Le paysage est grandiose.
Nous redescendons. Les deux jeunes cerfs sont partis vers de nouvelles aventures. Mais, un cerf solitaire mâchouille sur le bord de la route du retour vers le camping.
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