Cela fait un mois que je suis à New York et quand je rencontre des gens, on me demande souvent d’où je viens. Non pas que j’ai un accent affreux (l’écoute intensive des Beatles et de rap US East Coast ainsi que des séjours dans des familles de la working class britannique y ont remédié) mais j’ai l’impression que c’est l’une des premières questions qu’on pose ici.

Peut-être parce que personne n’est vraiment new-yorkais de souche et que les États-Unis sont un pays de migrants. Quoiqu’il en soit, c’est la première question qu’on me pose. Ce n’est jamais fait de manière agressive. Au contraire, dès que je dis que je suis Française, les yeux se mettent à briller et je vois dans les iris de mes interlocuteurs toutes les images que le mot « France » peut véhiculer. Je vois la Tour Eiffel et les ponts de Paris, je vois le béret et la baguette, je vois les couples d’amoureux sur les bancs verts, je vois les grands magasins et les filles chics qui sont censées représenter ce petit « je-ne-sais-quoi » français. Effectivement, quand j’annonce que je suis Française, on m’associe tout de suite à Paris. Ce qui ne me dérange absolument pas car c’est ma ville de naissance et de cœur. De rares fois, on s’enquiert de savoir de quelle ville je viens et je sens que j’ai affaire au voyageur expérimenté qui, en plus de Paris, a certainement visité Barbizon ou Avignon.

Le fait que mon interlocuteur me place sous ce dôme d’images fantasmées de la Française n’est pas pour me déplaire. Cependant, c’est une étiquette et j’ai toujours trouvé cela très aliénant d’être placée sous une étiquette. Je trouve que ce qu’il y a de plus beau dans une couleur, ce sont ses nuances. Je suis donc placée sous l’étiquette de la Parisienne avec tout ce que cela implique. Lorsque mes interlocuteurs sont masculins, je me retrouve très rapidement dans des conversations sur les relations amoureuses et cela dérive rapidement vers le sexe. C’est bien connu, nous les Françaises et encore plus les Parisiennes, sommes très libérées.

Je suis d’ailleurs une spectatrice très attentive de Sex and The City (que j’ai dû regarder en intégralité au moins 4 fois, l’autre série – d’une autre envergure – que j’ai plus regardée étant The Wire). L’épisode 4 de la saison 3 traite des étiquettes et notamment des étiquettes sexuelles. Le pivot central de cet épisode est la relation toute nouvelle et assez courte de Carrie avec Sean – le futur officier de police plutôt sexy de CSI : NY (policier et sexy sont assez antinomiques, je le concède, contrairement à pompier et sexy, association qui est l’objet d’un autre épisode mémorable de Sex and The City).

Ce jeune homme est sorti avec des filles et des garçons et le lui annonce de manière extrêmement naturelle. Carrie et ses amies le définissent comme « bisexuel », à noter que lui ne se définit jamais en tant que tel. Le fait qu’il soit sorti avec un homme avant elle et le détachement avec lequel il le vit semblent profondément la troubler alors qu’elle n’entrevoit de toute façon pas d’avenir avec lui.

Le fait de vouloir définir – et donc enfermer – un être humain par ses habitudes sexuelles est très étrange pour moi. Quand vous conversez avec quelqu’un, votre interlocuteur peut facilement vous préciser qu’untel de ses amis ou tel homme qu’il a rencontré est homosexuel même si cela n’apporte strictement rien à la conversation. Cela ne viendrait à l’idée de personne de préciser qu’un de ses amis est hétérosexuel alors que la conversation ne porte pas spécifiquement sur les préférences sexuelles. C’est un peu comme quand quelqu’un vous raconte  qu’il était au supermarché et que devant lui à la caisse, il y avait un client noir. Vous vous attendez, s’il vous précise que l’homme devant lui était noir, que cette mention sera primordiale dans la suite de l’histoire. Une fois sur mille seulement c’est le cas.  Le discours, les réflexes narratifs et par conséquent les esprits sont encore complètement prisonniers de la figure dominante : l’homme blanc hétérosexuel.

Ici, je pense être perçue comme une jeune Parisienne blanche et non comme une jeune fille « issue de l’immigration », ce que j’étais dans beaucoup de regards de Français. J’ai l’impression d’être moins enfermée. Est-ce parce qu’être une jeune Parisienne blanche suscite plus de préjugés positifs que de crainte et de mépris que d’être une jeune femme « issue de l’immigration » ? J’ai l’impression que le périmètre de mon identité s’élargit et d’autres nuances s’ajoutent à la palette de couleurs qu’est mon identité. Souvent, on lit qu’à New-York, tout le monde peut se réinventer et c’est certainement ce que je suis en train d’expérimenter.