Deuxième jour à Yellowstone: l’eau potable courante a été rétablie, les petits chauffages d’appoint ont réchauffé notre nuit et les moustiques sévissent toujours autant. Nous sommes prêts pour notre deuxième jour dans l’ouest du Parc.
Yellowstone étant grand comme la Corse, nous avons prévu de passer plusieurs jours dans chaque zone du parc, l’ouest d’abord, ensuite le sud et enfin l’est. Nous apprenons avec dépit qu’une partie du Parc est fermée nord-est à cause de travaux et de ce qu’ils appellent ici « bear activities » en faisant référence aux ours qui chassent. Nous découvrons aussi que les distances entre chaque point d’intérêt sont immenses.
Aujourd’hui, nous explorons la zone entre Madison et Norris en commençant par les Gibbin Falls et la Beryl Spring qui sont sur la route de Norris. Les Gibbin Falls sont très bucoliques, se jetant au pied de la montagne dans la rivière Gibbin bordée de vertes vallées. Quelques mètres plus loin, la source Beryl offre un tout autre paysage, presqu’irréel. Dans un décor minéral, blanchi par le souffre, une source ronde d’eau chaude dégage une fumée blanche dense et franchement odorante. Lorsqu’au gré du vent, la fumée se dissipe un peu, on découvre une source d’un bleu profond.
En revanche, au cœur de toute cette beauté, nous n’avions pas anticipé de croiser autant de supporters de Trump. Ce fut, tout d’abord, une famille dont la maman adorable et très bavarde nous a vanté les mérites de l’Etat de Washington dont ils sont habitants. Alors qu’elle mentionne Seattle, je réponds que j’aimerais beaucoup y aller. La maman calme instantanément mes ardeurs en m’assurant qu’il y pleut beaucoup et que surtout les récents émeutiers ont mis à feu et à sang le centre de la ville, « en érigeant des barricades, en détruisant toutes les vitrines des magasins [elle précise Starbucks, comme s’il s’agissait là d’un crime de lèse-majesté] et en empêchant la police et les habitants de la ville de pénétrer dans la zone ». Surprise de n’avoir rien lu à ce sujet, elle me rétorque avec un sourire moqueur que « bien évidemment les medias, libéraux, n’en ont pas du tout parlé parce que cela ne sert pas leurs intérêts ». J’insiste en m’étonnant de n’avoir rien lu de tel dans le New York Times. La maman rigole de ma stupéfaction et de mon manque de discernement, « le NY Times est un journal libéral, ils n’en parleront jamais » [la suite prouvera qu’elle avait tort]. On sent bien qu’elle aimerait remplacer « libéral » par « fake », l’attaque préférée de Trump contre la presse.
Nous croisons plus tard un jeune adolescent avec un t-shirt représentant Trump sous les traits de Superman et une pré-adolescente avec une casquette rose « Trump 2020 ». Il n’est pas rare que nous croisions des voitures avec des autocollants « Trump 2020 » sur le pare-chocs ou une casquette MAGA (Make America Great Again) sur le tableau de bord. Baby Boy arrache un autocollant « Trump 2020 » collé sur les tuyaux de la station de traitement des eaux d’un camping. Drôle d’endroit pour déclarer son amour pour un Président qui n’hésite pas à flatter les plus bas instincts de l’humanité.
Je suis interloquée de voir que des personnes qui souscrivent à un discours de rejet de l’autre, à une doctrine qui voudrait que le changement climatique soit un canular fabriqué par la Chine, à des politiques visant à déréguler la chasse, la pêche et à abolir les protections des espèces animales protégées, passent leurs weekends, leurs vacances à arpenter les innombrables sentiers de randonnée de Yellowstone, s’arrêtent pour prendre des photos des bisons, des cerfs ou des ours.
Demeurant bien protégés à l’intérieur de notre camping-car, nous continuons notre chemin vers Monument Geyser Basin. J’annonce que cette marche ne sera qu’une mise en jambe. C’est une randonnée courte (3,2 kilomètres) mais ardue et pentue à travers une forêt qui renaît après l’immense incendie naturel de 1988. La mise en jambe se révèle être un vrai effort. On suit d’abord le fleuve Gibbon après un petit pont de pierre d’où on perçoit des fumeroles et des sources d’eau chaude, au-delà de la prairie où paissent quelques bisons. L’ascension est difficile et lorsqu’on émerge enfin, nous profitons d’abord d’une vue magnifique sur le Canyon du fleuve Gibbon puis sur une étendue blanche minérale annoncée par des odeurs fortes de souffre. L’odeur provient de plusieurs geysers en cône et de petits bassins bouillonnants. Seul un geyser semble encore actif.
Nous redescendons et rejoignons le sentier d’Artists’ Paintpots (pots de peinture d’artistes), une balade d’1,6 kilomètre très tranquille et qui nous mène tout autour de gros bassins colorés qui gargouillent.
Enfin, nous terminons la journée par la randonnée autour de Norris Geyser Basin et c’est encore un émerveillement. Nous avons déjà remarqué que la fin d’après-midi était le moment idéal pour profiter des points de vue. Entre chien et loup, la lumière pare les formations géologiques millénaires de couleurs irréelles, les animaux sortent se nourrir et les humains sont rentrés dans leur tente.
Norris Geyser Basin est un ensemble de deux grandes séries de sources d’eau chaude, de mini-geysers et de fumeroles. La première et la plus grande est Back Basin. La seconde est Porcelain Basin qui offre, dans la lumière du soir, une vue d’ensemble magique. Yellowstone est une terre volcanique dont les éruptions, il y a 640 000 ans ont créé ces merveilles géologiques. Les plus nombreuses dans le Parc sont les sources d’eau chaude dont les couleurs et les profondeurs les rendent toutes uniques. Certaines sont tellement transparentes que l’œil arrive à sonder, depuis la croûte terrestre très fine, les abysses. D’autres sont assombries par les sédiments et les couleurs créées par les bactéries thermophiles et la lumière du soleil. Mes préférées au Norris Geyser Basin sont Emerald Spring et Cistern Spring.
Norris Geyser Basin est bien évidemment connu pour ses geysers. En effet, Norris Geyser Basin est le bassin de geysers le plus chaud et le plus dynamique de Yellowstone. Le plus connu, le Steamboat Geyser est réputé pour être le plus grand geyser du monde. Celui que je préfère est le Monarch Geyser pour sa couleur bleue limpide et le Vixen Geyser qui a salué notre passage d’une gerbe magnifique, le diablotin.
Porcelain Basin est un ravissement pour les yeux et porte bien son nom.
Sur le chemin du retour, nous rencontrons une famille de Californiens et échangeons rapidement nos premières impressions du Parc et contons quelques anecdotes. La maman nous montre la photo d’un loup prise avec son portable quelques minutes auparavant dans une vallée avoisinante. Le loup regarde l’objectif, indompté. J’envie notre interlocutrice.
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