Nous voilà à Moab, petite bourgade fondée par les Mormons au pied du Parc National des Arches. Elle vit principalement du tourisme (son autre activité est la mine d’uranium), multipliant tous les types de camping, des plus rustiques aux plus élaborés.
Nous avons prévu de passer au moins 4 jours dans ce coin pour explorer à fond le Parc et ses environs. Nous avions réservé nos 4 nuits dans un camping tout équipé avec piscine, promontoire d’observation, mini-golf et surtout raccordement aux égouts, à l’eau et à l’électricité de la ville. Notre camping-car s’est retrouvé coincé entre deux de ses congénères en plein soleil. La piscine opérait en horaires réduits en raison du Coronavirus. Nous avons donc décidé de réduire notre séjour dans ce camping en lui préférant pour deux nuits un camping plus spartiate au bord du fleuve Colorado. L’option d’alterner entre camping confortable et camping plus simple permet de vivre cette expérience dans les meilleures conditions : explorer des espaces moins fréquentés tout en gardant la possibilité de se recharger (en eau, en électricité, en accès Internet).
En nous installant la première nuit dans notre camping « de luxe », nous faisons connaissance avec Karina et ses deux chiens, Gemna et Sapphira (noms tirés de la littérature fantastique comme je l’apprendrai plus tard). Karina, originaire de Sacramento en Californie, est sur les routes depuis septembre 2019. Elle a quitté son poste d’assistante de médecin légiste, a vendu sa maison et s’est offert un petit camping-car. « Je me suis demandé si mon travail valait vraiment le coup de mettre ma santé physique et mentale en danger. J’ai conclu que non ». Alors que nous discutons, je remarque au pied de son camping-car des petits sachets en plastique avec le signe bio-hazard, dans lesquels elle semble stocker des portions de nourriture pour chiens. Très gentiment, elle nous offre un flacon de crème solaire et les prospectus des Parcs qu’elle a déjà parcourus. Elle nous conseille le Dinosaur National Monument, surtout pour Demi-Portion qui pour l’instant caresse les deux chiens.
« Ma sœur est très matérialiste et j’ai eu un trop plein. Je suis partie ». Je perçois dans son ton que Karina savoure le fait que très certainement sa sœur n’approuve pas son nouveau mode de vie. Je la regarde dénouer ses cheveux dont les pointes sont teintes en violet, sa petite robe légère découvre des jambes fines et musclées terminées par des baskets montantes fluo. Demi-Portion est très curieuse de la coloration capillaire de notre voisine et tourne autour des mèches qui s’agitent sous la brise et les mouvements de tête de Karina. Je me demande si ce parti-pris capillaire est une façon symbolique de rompre avec son monde d’avant ou si Karina expérimentait déjà dans ce domaine avant de partir sur les routes.
Un peu plus tard dans la soirée, nous percevons le bruit de l’eau qui s’écoule. Le camping-car de Karina a une fuite. Baby-Boy va la prévenir. Elle est un peu décontenancée mais balaie assez vite cet état avec la détermination de ceux qui n’ont pas d’autre choix que de rebondir et sur la route, il faut parer rapidement à toute éventualité. Karina retournera donc au Nevada où elle avait acheté son véhicule pour le faire réparer. Le Colorado où elle devait se rendre ensuite attendra.
Le lendemain, nous empruntons la 191, dépassons le Visitor Center de Arches National Park, fermé pour cause de Covid-19 (l’entrée est gratuite). Cette route est la principale route qui serpente dans le Parc et qui permet de rejoindre les principaux sentiers de randonnée vers les Arches.
Nous remarquons tout de suite que ce Parc est nettement plus fréquenté que les précédents que nous avons visités. Mais le Parc est assez grand pour que nous ne croisions pas grand-monde. Nous allons directement au Rocher en équilibre d’où partent deux sentiers vers 4 arches: la North and South Windows, la Turret Arch et la Double Arch. C’est une bonne introduction à un Parc qui compte, selon les guides, plus de 2000 arches. Certaines n’ont pas de nom et on les aperçoit de loin. Ces arches côtoient des formations rocheuses dont les formes laissent deviner, selon l’imagination, des animaux. On suit une parade d’éléphants, présidée par un lion majestueux. Plus loin, on rencontre un babouin qui scrute l’horizon, assis sur ses fesses. Enfin, au bout d’une longue route déserte, normalement empruntée par les 4×4, nous distinguons le corps et la queue d’une baleine – c’est The Eye of the Whale Arch.
Nous réservons au lendemain la longue randonnée du nord du Parc qui permet d’admirer une dizaine d’arches. Le Parc est beaucoup plus fréquenté que ce à quoi nous avions été habitués et cela s’accompagne inévitablement des comportements humains les moins appréciables : des personnes qui grimpent sur les roches millénaires, gravent leurs noms sur les arches, ramassent des cailloux et les jettent contre les formations rocheuses. Toutefois, sur les sentiers plus éloignés de la route principale, nous sommes soudainement tout seuls. Nous admirons donc dans le calme Delicate Arch dont le dessin orne toutes les plaques d’immatriculation de l’Utah, the Broken Arch, the Skyline Arch, the Tapestry Arch, the Landscape Arch, the Sand Dune Arch (nichée au fond d’un passage étroit, impossible de la prendre en photo car des enfants sous l’œil absent de leurs parents en avaient fait leur terrain de jeu pour la journée) et ma préférée, la Pinetree Arch. Certaines arches se méritent et semblent encore plus précieuses après une randonnée ardue. Pinetree est l’une d’entre elles. Mais aussi Navajo Arch.
Nous quittons Arches pour Dead Horse Point State Park. Nous troquons un Parc national pour un Parc d’Etat. Les règles de gestion y sont un peu différentes. La pandémie actuelle en offre un exemple précis. Les Parcs Nationaux ayant fermé leurs centres d’information, leurs campings et parfois les toilettes pour cause de Coronavirus, ne font pas payer les entrées. En revanche, dans les Parcs d’Etat, les centres d’information, les boutiques de souvenirs, les campings sont ouverts et l’entrée est donc payante. Les visites guidées par des Rangers sont suspendues dans les deux cas.
Nous laissons aussi derrière nous une chaleur écrasante et trouvons un vent frais puissant. Nous sommes à 2000 mètres d’altitude et la nuit, les températures descendent au-dessous de zéro.
Nous débutons notre exploration. The Dead Horse Point State Park est un véritable bijou. La légende raconte que des cowboys, dans les années 1800, avaient regroupé sur l’ile des mustangs dans l’espoir de les dresser. Ils firent un tri entre les différents chevaux et laissèrent sur cette terre peu hospitalière plusieurs chevaux qui moururent de soif pourtant entourés des courants de la Colorado River.
C’est une bien triste histoire pour un très joli parc.
Au centre d’information doublé d’un magasin de souvenirs, Demi-Portion fourrage dans le panier à peluches pendant que je m’attarde sur les cartes des sentiers de randonnées. Elle finit par jeter son dévolu sur une mouffette et délaisse les autres compagnons poilus tels que les oursons, les lièvres du désert ou les coyotes. A la caisse, le ranger, goguenard, me demande « si la petite sait ce que c’est » en désignant la peluche. Je lui montre mes paumes en signe de défaite, « elle insiste pour prendre cette peluche… ». Une fois rentrés dans le camion, j’explique à Demi-Portion les méthodes de défense de la mouffette, ce qui a pour conséquences de provoquer des éclats de rire et une affection encore plus grande de l’enfant pour la peluche.
Notre premier camping est rustique mais nous avons accès à l’électricité et nous pouvons évacuer nos eaux usées à l’entrée du campement. En revanche, pas de possibilité de se recharger en eau. Nous trouverons une solution en utilisant le robinet d’eau du centre d’information quelques kilomètres plus loin.
Le point d’orgue est cet impressionnant promontoire mais tout le Parc est un ravissement. Nous cheminons au bord de profonds canyons, grimpons sur des formations rocheuses renversantes et nous admirons la grande plaine des bassins de décantation de sel, qui créent des oasis d’un bleu soutenu dans cette immensité ocre. La végétation est aussi variée que possible étant donné les conditions climatiques du désert. On retrouve les genévriers de l’Utah, les pins pignons, les cactus (prickly pears – porteurs de figues de Barbarie), les Sphaeralcea orangées et le thé des Mormons aux vertus décongestionnantes que les premiers colons de cette région utilisaient déjà pour traiter les rhumes.
Nos randonnées préférées sont celles qui mènent aux belvédères des Méandres et des Bassins – la vue y est époustouflante.
Le premier jour de randonnée, en fin d’après-midi, nous avons été surpris par une soudaine et surprenante tempête de sable. En quelques secondes, tout notre horizon s’est couvert d’un voile rouge épais. Nous ne distinguions plus rien à cent mètres. Nous nous sommes crus sur Mars. La poussière ocre a tout recouvert et nos dents ont crissé, nos oreilles ont grincé et nos yeux ont gratté toute la soirée sous l’effet abrasif du sable.
Toutes tes photos sont belles mais celles de Dead Horse Point State Park sont époustouflantes!!! On se croirait dans un film. Ces lieux sont dans notre imaginaire collectif je pense, et ça fait bizarre de se dire que tu les vois pour de vrai! Merci encore une fois de nous faire vivre tout ça!
Magnifique post on vit l’aventure avec vous