Nous devions rejoindre Capitol Reef pour deux jours mais nous changeons nos plans au dernier moment et sur les conseils du Guide du Routard, nous remplaçons un paysage minéral par des champignons de roche. Nous sommes très surpris par un changement de paysage si radical. Oubliés les canyons, les formations rocheuses en forme de tour pointue et les buissons épineux.

Nous nous arrêtons d’abord à Green River pour faire une bien nécessaire lessive et quelques courses de nourriture. Green River est une bourgade bien étrange, à demi ville fantôme avec des édifices visiblement abandonnés, qui feraient de bons décors de films de cow-boys et mitoyens des maisons cossues avec pelouse impeccable et un hôtel de ville dans des Algeco un peu améliorés. Pendant que Baby Boy recharge la bête en essence, je parcours la rue principale. Je suis pratiquement seule sur ces trottoirs rôtis au soleil. Je ne croise que deux silhouettes humaines qui semblent à la fois parfaitement vraisemblables et pourtant chimériques dans ce décor. Je suis bientôt dépassée par un cow-boy sur le retour qui écoute de la musique country à tout rompre et je croise enfin le chemin d’une femme en micro-short et t-shirt coupé trop court. A mesure qu’elle se rapproche, je remarque ses cuisses tannées par le soleil, parcheminées par l’âge et tatouées du genou à la hanche. Je réponds avec enthousiasme à son chaleureux sourire et suit du regard ses cheveux blancs qui scintillent sous le soleil.

Corvée de lessive à Green River

Arrivés à Goblin Valley nous sommes dans un désert de farfadets – d’où le nom. C’est un paysage stupéfiant, une vallée improbable de champignons géants limitée par la montagne Henry et des falaises boursouflées par les forces de la nature. Le premier jour, nous nous ébattons dans cet immense terrain de jeux labyrinthique qui plait beaucoup à Demi-Portion.

Le matin du second jour, nous restons en ville. Baby Boy inquiet de la pression des pneus décide de courir la ville à la recherche du manomètre salvateur.  Point de manomètre. Baby Boy, à force d’interroger des passants et des employés de station-service finit par dénicher l’adresse de RabbitBrush Repair. Dans un capharnaüm de carrosseries de voiture, de containers de propane, de palettes de bois démembrées et enchevêtrées, nous rencontrons John, t-shirt jaune fluo et chapeau de cow-boy. Adorable, il nous demande si cela plairait à Demi-Portion de caresser une vache. Surtout poussés par la curiosité, nous acceptons. Et nous voilà, à la queue leu-leu derrière le chapeau de cow-boy qui nous emmène à un enclos de fortune à l’arrière de l’atelier de réparation.

Un client qui prend les choses en main à Rabbitbrush Repair

Deux bœufs tournent mollement la tête vers nous et nous regardent impassibles. John nous fait passer par une petite ouverture dans la barrière en fil barbelé. Demi-Portion est impressionnée et sur la réserve. Tout d’un coup, un petit veau émerge maladroitement d’un abri de fortune fabriqué à partir d’une citerne coupée en deux. Face à nos questions, John nous explique qu’il y a 5 veaux dans cette minuscule cache, qu’il les sépare des bœufs pour éviter que les adultes dévorent la nourriture des petits. Il nous raconte qu’il achète les veaux à 70 $ lorsqu’ils n’ont que quelques jours et les garde jusqu’à leurs deux ans avant de les envoyer à l’abattoir et de récupérer la viande. Je ne peux pas m’empêcher de penser aux vaches venant de mettre bas et voyant leurs veaux arrachés à leurs pis. Baby Boy tente un « ça fait quand même beaucoup de viande, non ? » et John de répondre « on a trois congélateurs à la maison ». Les pneus regonflés, nous repartons vers la Vallée des Lutins.

Nous décidons de suivre la randonnée du Carmel et de bifurquer vers la route qui mène au Goblin Lair. Le sentier est assez monotone et nous ne croisons pas âme qui vive, à part quelques téméraires lézards. Le repaire du lutin en question est une cave qui semble s’être formée grâce à des éboulements successifs. Elle est donc vraiment difficile d’accès mais mérite vraiment l’effort ne serait-ce que pour l’air frais qui y circule. La lumière qui pénètre à travers des ouvertures naturelles crée une atmosphère magique. Nous sommes finalement rejoints par d’autres courageux aventuriers.

Chemin de randonnée du Carmel
Goblin Lair – Le repaire de lutins

Nous terminons la journée par l’exploration du canyon du Little Wild Horse, un immense canyon, accueillis dès nos premiers pas par un petit serpent à sonnette. En revanche, pas de trace d’un petit cheval sauvage. La roche est tantôt rouge tantôt rose poudré, parfois blanche. Le chemin est ombragé par quelques arbres dont nous peinons à entourer les troncs de nos bras. Cela grimpe pas mal et nous rentrons fourbus.

Little Wild Horse Canyon

Nous décidons de dormir sur une public land (terrain géré par l’Etat et donc occupation gratuite) au milieu de nulle part, au pied des montagnes.

La première lumière artificielle étant à plus de 16 kilomètres, nous nous endormons sous un ciel tapissé d’étoiles.