Tout d’abord, c’est le choc. Je suis seule à la maison ce 8 novembre 2016, je rafraîchis toutes les secondes ma timeline Facebook, j’ouvre 10 fenêtres sur mon moteur de recherches avec les sites Internet des différents journaux. Lentement, trop lentement, les résultats s’égrènent et les États-Unis se couvrent de rouge, d’un rouge vengeur, sanglant et colérique. Je reste hypnotisée devant l’écran de l’ordinateur. Vers 2h du matin, je finis par me traîner jusqu’au lit dans un état de profond abattement.

First results

Le lendemain, je me réveille et tente de me persuader qu’il s’agit d’un très mauvais cauchemar, que les Américains n’ont pas pu voter ainsi, n’ont pas pu ne pas voir l’imposture dangereuse qu’est Donald Trump. Je prends mon petit-déjeuner comme si de rien n’était, comme pour repousser l’inévitable.

Je finis par ouvrir Facebook, en affectant un air détaché, et là de nouveau, le choc : Trump a bien remporté les élections. Des images de personnes en pleurs défilent, mes amis publient des commentaires désespérés. Les journaux nationaux confirment le désastre et multiplient les analyses.

Je pense aux Premières Nations qui résistent dans le froid à Standing Rock, je pense aux familles de Flint dans le Michigan, sans eau propre depuis des années, je pense aux adolescents noirs de St-Louis qui vont continuer à souffrir sous un règne policier et raciste décomplexé. Je pense aux femmes soumises continuellement au sexisme dans la vie professionnelle et aux violences dans la sphère privée et qui ne verront pas leur sort s’améliorer, je pense aux fermiers miséreux du Midwest qui votant Trump croyaient pouvoir devenir millionnaires un jour et qui vont surtout décliner lentement mais sûrement car ils seront bientôt privés de tout accès aux soins les plus élémentaires. Je pense aux réfugiés syriens, irakiens, somalis, indonésiens qui tous les jours débarrassent les tables des restaurants pour $2 de l’heure en comptant sur des pourboires peut-être de plus en plus hypothétiques, qui fabriquent le pain que les Américains tapissent de beurre de cacahuète tous les jours, qui fournissent du café chaud aux businessmen pressés dans leurs petites épiceries de quartier. Je pense aux personnes de confession juive dont les ancêtres ont fui le nazisme et qui se retrouvent à nouveau en 38 aux États-Unis. Je pense aux musulmanes en hijab qui baisseront encore plus les yeux vers les pavés, je pense aux enfants de Sandy Hook qui ont vu leur vie s’arrêter brutalement et dont la mort n’a hélas pas permis une réflexion sur le port d’armes aux États-Unis.

Je m’habille comme un robot et reprends ma routine en me dirigeant vers mon travail. Je suis choquée de voir que le bus est pratiquement vide en pleine heure de pointe. Les quelques rares visages présents sont fermés. Je découvre Times Square en état de léthargie. Je suis choquée de voir que je n’ai pas à jouer des coudes pour avancer sur la 41éme rue.

Au bureau, les gens sont stupéfaits. Mon chef a les larmes aux yeux et je n’arrive pas à savoir si c’est de la tristesse ou de l’épuisement. Peut-être un peu des deux.

En rentrant à la maison, je fixe chaque personne avec suspicion autour de moi en me demandant si il ou elle a voté Trump. Je me reprends en me disant qu’il ne faut surtout pas tomber dans le piège de la division.

Baby Boy me raconte au dîner que son ancien chef a voté Trump car il pense qu’économiquement Trump sera l’homme de la situation. Je reçois alors en plein visage la force de l’individualisme dans sa plus atroce configuration : l’économique qui prime sur le social. Pourtant, l’économie américaine sous Obama allait très bien, le chômage était bas, les emplois se créaient, la consommation fonctionnait à plein régime.

Comme un de nos amis l’a justement souligné : « les Américains ont reçu dans leur boite aux lettres un avis d’augmentation des frais de santé juste avant l’élection ». Ce n’est donc pas la macro-économie qu’essayait de défendre l’ancien chef de Baby Boy en votant Trump, c’était son propre petit confort. Peu importe que cela se fasse aux dépens des plus pauvres, des minorités, des groupes vulnérables, de l’environnement. Je suis en état de choc, comme la moitié des États-Unis.