Nous arrivons au Parc National des Great Smoky Mountains par une route différente de celle que nous avions initialement prévue car nous avons dû faire un arrêt forcé en banlieue d’Huntsville en raison de mon téléphone récalcitrant. Nous avons stationné dans ce que les Américains appellent un « strip mall », c’est-à-dire des enfilades de magasins et échoppes de restauration rapide en extérieur, recréant un semblant de dédales de rues, pas loin d’une autoroute pour en faciliter l’accès.

Baby Boy s’occupe des discussions avec le conseiller du magasin d’électronique pendant que je fais le tour du camion. Nous sommes entourés par un bon panel représentatif de l’offre de restauration rapide américaine. Ces établissements peu ragoutants me fascinent. N’y ayant jamais mis les pieds (à part dans un MacDo en rase campagne dont je n’ai pas pu terminer l’unique cornet de frites commandé et un In ‘n Out dans la banlieue de Denver), je suis partagée entre le désir de pénétrer dans ces antres de la malbouffe en imaginant une certaine magie opérer et l’absolue et triste certitude que je serai déçue. C’est tellement constitutif de l’identité nord-américaine et du paysage nord-américain que je sens imperceptiblement l’envie d’y consacrer un peu de mon temps.

Je tourne la tête avant de rentrer dans le camion et tombe sur un écriteau qui offre une synthèse impérative et accrocheuse de l’évangile selon St-Jean en nous intimant l’ordre de croire en Jésus. La foi étant la seule source d’espoir. Ces panneaux sont légion dans le sud. Cet appel semble un instant faire un écho aux nouvelles apocalyptiques du monde. Puis, je lève les yeux.  Je suis immédiatement ramenée à la réalité triviale d’une fosse septique.

Lorsque Baby Boy revient triomphant avec mon téléphone ressuscité, nous repartons vers de plus vertes vallées. Nous arrivons de nuit au camping.

Le lendemain, nous nous mettons en jambe en commençant par le modeste chemin de randonnée « Fighting Creek Nature Trail » et après avoir fait le plein de cartes et de guides de randonnées au Centre d’Information de Sugarlands au nord du Parc, nous suivons le chemin de randonnée de Cove Mountain Trail. Nos pas sont accompagnés par une multitude de papillons qui rivalisent de couleurs.

La petite randonnée bucolique de Fighting Creek donne à voir concrètement la disparition d’une forêt primaire sous les coups des haches des colons pour laisser place à environ 25 petites fermes, une église, une école, un magasin d’alimentation générale, un bureau de poste, un moulin à blé et une scierie. Une véritable communauté vivait ici jusqu’en 1935 et était connue sous le nom de Forks of the River.

A la fin du 19ème siècle des naturalistes européens, dans le sillage des colons, ont trouvé sur le territoire montagneux des Cherokee un monde botanique riche. Ce territoire, « shaconage » c’est-à-dire « bleu comme la brume » était un lieu agricole et d’exploitation forestière pour les tribus autochtones.

Lorsque le Parc des Great Smoky Mountains a été établi dans les années 20 et 30, en réunissant des propriétés privées, les bâtiments existants ont été abandonnés et sont encore visibles aujourd’hui. Ce qui rend le Parc particulier. Par ailleurs, étant donné qu’il a été établi en s’appropriant des terres privées, il a été décidé que son entrée serait gratuite pour « rendre » à la communauté.
Les Cherokee, eux, en grande partie, ont été déportés via le « Trail of Tears » vers l’Oklahoma.

La décision de créer ce Parc doit beaucoup à la préoccupation du Congrès face à une déforestation galopante et un braconnage effréné des espèces sauvages par les colons et les nouveaux habitants du territoire.

Le Parc, à cheval sur l’Etat de la Caroline du Nord et sur l’Etat du Tennessee, s’étend sur plus de 2000 kilomètres carrés et abrite plusieurs types de forêts et de vie sauvage. Nous en verrons quelques spécimens lors de nos pérégrinations.

Bientôt, nos pas nous amènent aux chutes de la Cataracte dans lesquelles Baby Boy et Demi-Portion se baignent.

Le lendemain, nous descendons vers le sud-est du Parc, là où nous aurions dû commencer pour rejoindre la limite du Parc et une randonnée que nous avions initialement prévue.

Le sentier de randonnée de Smokemont à l’est du Parc nous entraine dans une boucle de 10.5 kilomètres au pied de la rivière Oconaluftee dont les adjuvants forment de pittoresques cours d’eau. La marche débute au centre d’un buisson de leucothoé et de rhododendrons géants.

Au moment où nous abordons l’amorce de la boucle, nous traversons la rivière Bradley Fork en équilibre sur un tronc d’arbre dont la largeur ne dépasse pas la longueur d’un pied. Heureusement un cordon en fer permet de se rattraper en cas de glissade.

Le sentier commence alors son ascension sur le flanc d’une montagne et nous pénétrons dans une forêt de feuillus. Notre avancée est balisée par une abondance de fleurs sauvages.

Les feuillus font bientôt place à des arbres plus secs, me semble-t-il. Puis nous rencontrons des pins, des hêtres et  des noyers. De là, l’ascension continue et me parait plus ardue mais après 1.5 kilomètre, nous descendons…enfin. La vue sur les cimes bleues et brumeuses est magnifique. Avec Demi-Portion, nous nous accroupissons souvent pour observer de plus près les champignons et les fougères.

La descente est plaisante et nous croisons des pins, des chênes et un vieux cimetière abandonné.

Avec plus de 10 kilomètres dans les pattes, nous rentrons fourbus mais heureux au camping.