3 avril – Notre voisine de gauche passe ses journées à faire du tri chez elle, affiche dans la salle des boites aux lettres des annonces pour des meubles à vendre, danse sur de la musique techno à fond et m’envoie des messages pour se débarrasser de ses trucs devenus encombrants.

Ma voisine: j’ai retrouvé de vieilles couches d’apprentissage du pot. Vous les voulez?

Moi: c’est adorable mais nous en avons déjà et nous ne les utilisons pas encore.

Sonnerie de porte. Bruit mat sur le sol. Baby Boy ouvre la porte et ramasse un paquet ouvert de couches où il y en a quatre.

Encore une fois, c’est adorable et je trouve cela formidable que ma voisine mette à profit le confinement pour faire du tri chez elle. Pourtant, si elle pouvait éviter de nous considérer comme sa poubelle, ça m’arrangerait. Surtout qu’à présent je me demande s’il faut que je stérilise le dit paquet de couches et si oui comment.

Le CDC (Centre de contrôle et de prévention des maladies aux États-Unis) recommande à tous les Américains de porter une protection du visage. Trump répond qu’il n’en portera pas étant donné qu’il ne s’agit que d’une recommandation. Avec cette présidence, chaque jour apporte pire que le précédent, c’est vertigineux.

4 avril – C’est le printemps et les arbres sont à présent bien en fleurs.

Le New Jersey compte 846 morts liés au Covid – 19 depuis le début de la pandémie pour 9 millions d’habitants. Cela représente plus de morts que le nombre d’habitants du New Jersey décédés lors du 11 septembre.

Toutefois, les deux tiers des personnes soignées sont sorties guéries des hôpitaux de New York et du New Jersey et l’armée est mobilisée dans des hôpitaux d’appoint.

Trump continue de distribuer les bons points aux maires et gouverneurs comme s’il s’agissait d’un concours de beauté. Ainsi, ce matin, après la conférence de presse du Gouverneur de l’État de NY – M. Cuomo – Trump a jugé que ce dernier n’avait pas été “courtois” mais que le gouverneur de Californie l’avait été et que le maire de la ville de NY – M. de Blasio – avait été “très gentil“.

Parallèlement, il a temporairement arrêté d’insulter la Gouverneur du Michigan – Mme Whitmer – qui avait critiqué l’inaction du gouvernement fédéral. On dit que le pouvoir est une drogue puissante et Trump est clairement intoxiqué. Son langage le démontre tous les jours, désignant par exemple Mme Whitmer comme “la femme du Michigan“, niant ainsi son identité, son pouvoir et ses accusations. Bien évidemment de telles démonstrations de pouvoir sont puériles, sexistes et témoignent d’un manque criant de qualités de dirigeant. Mme Whitmer répondra en portant, lors d’une émission, un t-shirt avec l’inscription “la femme du Michigan“. En ne rentrant pas dans une querelle sur Twitter, en prenant de la hauteur avec humour, Mme Whitmer a finalement démontré plus de puissance.

5 avril – Avec le ralentissement du trafic routier et aérien, nous entendons à nouveau le chant des oiseaux, les mouettes s’en donnent à cœur joie sur le bord du fleuve et nous pouvons compter les étoiles dans le ciel une fois la nuit tombée. Autre bonne nouvelle, notre voisine de gauche s’en va rejoindre son mari et son fils. Alors, ce n’est pas une bonne nouvelle pour tout le monde car prenant ainsi la route vers le Canada, elle mettra en danger plusieurs personnes et se mettra en danger mais c’est une bonne nouvelle pour nous car:

1) nous ne nous réveillerons plus au son de la musique techno

2) nous ne remplirons plus nos placards de choses inutiles.

M’étonnant de sa décision, elle me réplique qu’elle n’en peut plus, qu’elle est très angoissée d’être ainsi séparée de son enfant et qu’elle se sent abandonnée par son mari. Je compatis et lui dis que je comprends parfaitement ce qu’elle peut ressentir. J’ose toutefois mentionner l’ordre de confinement et le fait que la frontière soit fermée. Elle me répond sèchement qu’ “elle souhaite bien du courage à la personne qui se mettra en travers de sa route”.

Elle conclut en soulignant qu’au début je ne voulais pas porter de masque car j’écoutais les recommandations du gouvernement mais qu’elle, n’écoutant que son instinct, elle en a porté et que le temps lui a donné raison. Elle prend la route là aussi n’écoutant que son instinct.

Je prends le parti de ne pas répondre ne saisissant pas réellement la logique derrière son raisonnement. Bien évidemment, elle ne part pas sans nous avoir gratifiés d’un dernier petit cadeau: des œufs en plastique fluo pour Pâques. Elle “ignore si nous fêtons Pâques mais [se] réjouit par avance de voir le sourire de [Demi-Portion] quand elle découvrira les œufs.” Je comprends donc qu’il va falloir que j’organise une chasse aux œufs et que je demande à Demi-Portion de poser pour la photo. Lorsque je la remercie, ma voisine me répond qu’elle se doutait bien que je n’avais rien préparé et qu’avec Party City (magasin vendant toutes sortes de babioles pour les fêtes et dans lequel je n’ai bien entendu jamais mis un pied) fermé je devais être bien embêtée mais qu’elle avait prévu le coup en faisant les courses de Pâques au mois de février.

6 avril – Boris Johnson est hospitalisé après s’être vanté de pouvoir serrer les mains de personnes atteintes du Covid 19 sans risquer quoi que ce soit. Le Médecin-chef de l’armée américaine a comparé la situation des États-Unis actuelle à Pearl Harbor en ajoutant que “ce serait pour beaucoup d’Américains le moment le plus difficile de leur vie”.

Parallèlement, Trump chante les mérites de l’hydroxychloroquine, en pleine contradiction avec les propos de plusieurs médecins ici et surtout les conseils de Dr Fauci – directeur de l’Institut National des allergies et maladies infectieuses et chef de file du groupe de travail Coronavirus à la Maison Blanche – qui appellent à la prudence. Un journaliste, lors du briefing quotidien de la Présidence, a interpellé directement le Dr Fauci mais Trump a coupé la parole en affirmant que “des tests étaient en cours et qu’ils étaient très prometteurs”, en ajoutant toutefois “Mais qu’est-ce que j’en sais? Je ne suis pas médecin”. Ce type est exaspérant! Bonne nouvelle: le nombre de morts à New York est en baisse.

7 avril – Un des concierges de l’immeuble – Daniel – assortit la couleur de son masque et de ses gants à sa tenue. Aujourd’hui, il est habillé tout en noir. Je le complimente mais impossible de voir s’il sourit ou s’il rougit sous son masque. Nous ne pouvons plus récupérer nos colis directement. Un barrage de fortune a été installé dans le hall de notre immeuble

Nos amis sont sortis de l’hôpital et sont suivis à domicile. Je me demande si c’est pour soulager les hôpitaux ou s’ils ont été contaminés par une souche virale plus clémente. Je veux croire à la deuxième option. Un des tigres du Zoo du Bronx a été testé positif au coronavirus. Et dire qu’il y a quelques semaines, Demi-portion posait devant sous un soleil radieux. Je me fais la réflexion que certes la nature reprend ses droits pendant le confinement et que ce virus et ses conséquences nous offrent une belle leçon d’humilité. Mais on arrive quand même, en confinement, à endommager et blesser la nature. J’espère que ce tigre, qui pour commencer n’a rien à faire dans un zoo, va s’en remettre. Dans un autre registre, Trump continue sa purge post-impeachment et licencie à tours de bras.

8 avril – Peter Navarro – conseiller commerce de Trump – a publié un document annonçant que la crise sanitaire que nous traversons coûtera à l’économie américaine plusieurs milliards de dollars et mettra en danger des millions d’Américains. Parallèlement, les premiers chiffres publiés comptabilisant les morts par appartenance à des groupes communautaires (race or ethnicity) montrent que les populations afro-américaines et hispaniques sont les plus touchées. A New York, par exemple, Les Latinos représentent 29% de la population de la ville et 34% des personnes décédées. La population afro-américaine représente 22% des habitants de la ville et 28% des morts. Plusieurs explications à cela alors que les Gouverneurs (Cuomo et Whitmer notamment) mettent en place des groupes de travail pour analyser ce phénomène.

Tout d’abord, les personnes afro-américaines et hispaniques souffrent en plus grand nombre d’obésité, de problèmes cardiaques, d’asthme, de diabète… Ensuite, ils représentent également la majorité des travailleurs dits essentiels: caissiers, livreurs, conducteurs de bus ou de métro, nounous, agents d’entretien, manutentionnaires. Le coronavirus montre à quel point la société américaine est inégalitaire et raciste.

Tout un système de discrimination au niveau de l’éducation, de l’emploi, de la santé mène à cette situation. Comme pour ajouter à la déprime ambiante, je reçois un message WhatsApp de mon amie Jesula qui m’apprend que Bernie Sanders suspend sa campagne alors que cette crise sanitaire démontre tous les jours que l’Amérique a besoin d’un tel dirigeant.

Le nombre de morts au New Jersey continue de grimper. Notre comté est le plus touché. Plus de 54,588 personnes contaminées par le virus au New Jersey et 1932 d’entre elles sont décédées.

Le Wisconsin vote à des élections locales. Les queues s’étirent pour respecter les distances de sécurité mais étant donné la situation, je doute que nous puissions parler d’élections démocratiques.

Invoquant le virus, l’Arabie Saoudite proclame un cessez-le-feu avec le Yémen. C’est la seule seconde de la journée où j’ose penser que cela aurait été bien que le virus arrive plus tôt.

9 avril – Un vent à décorner les bœufs souffle sur les Palisades (les collines du New Jersey) mais je profite d’un timide rayon de soleil pour emmener Demi-portion faire de la trottinette dans les rues vides de notre quartier. Elle s’élance sur la chaussée sans peur des voitures, toutes à l’arrêt.

Une étude vient de paraître mettant à mal la théorie que la chaleur ralentirait la propagation du virus. On entend au loin les sirènes d’une ambulance, puis d’une autre et d’une troisième comme pour nous rappeler que cette nouvelle normalité est dramatique. On aperçoit au coin d’une rue les silhouettes d’un couple masqué qui traverse sur la chaussée en nous regardant comme au ralenti. On profite de la nuit qui tombe pour aller faire quelques courses. L’ambiance est mortifère. Le Gouverneur du New Jersey recommande fortement de se couvrir la bouche et le nez quand on fait ses courses. Le personnel du supermarché confectionne des masques de fortune avec des filtres à café et des élastiques et les distribue à l’entrée du magasin.

10 avril – Plus de 16 millions d’Américains ont perdu leur travail dans les trois dernières semaines. Le New York Times publie un article très intéressant sur la dernière soupe populaire ouverte à New York, celle de l’Église des Saints Apôtres. Des Chefs étoilés se mobilisent pour confectionner des repas pour les personnes dans le besoin.

Notre voisine qui m’avait asséné en début de semaine qu’elle souhaitait bien du courage à la personne qui se mettra en travers de sa route alors qu’elle planifiait de rejoindre son mari au Canada, a rencontré un douanier assez courageux pour lui demander de faire demi-tour – la frontière étant toujours bien fermée pour cause de pandémie.

11 avril – Bill de Blasio – Maire de New-York – annonce que les écoles de la ville resteront fermées jusqu’à la fin de l’année scolaire. Les 1800 écoles de la ville sont fermées depuis le 16 mars. Parallèlement, des hôtels libèrent des chambres pour les sans-abris alors que le nombre de morts dans les foyers d’accueil augmente dramatiquement. Les autorités estiment qu’il y a 79 000 personnes sans-abri dans la ville. Est-ce que cela éclairera la conscience de nos dirigeants quant à la condition des personnes précaires? La plus grande réserve Navajo, à cheval sur l’Arizona, l’Utah et le Nouveau-Mexique, est touchée de plein fouet par le virus alors que nombre de ses habitants n’ont pas accès à l’eau courante. Cette pandémie a magistralement démontré que si nous voulions vraiment changer notre mode de vie, si destructeur de notre environnement, nous pouvions le faire.

Dans tous les États-Unis, le nombre d’armes à feu vendues a explosé. Il semblerait que les Américains préfèrent s’armer pour se prémunir contre d’éventuelles hordes d’affamés si la crise devait s’aggraver. Étonnamment, personne ne se dit que face à de pauvres hères cherchant une maigre pitance il faudrait offrir à manger plutôt que de pointer une arme. Visiblement quand l’avenir est incertain, cela rassure les Américains d’avoir une arme.