Cela fait trois mois que j’ai commencé un nouveau travail. Retour dans la Pomme. J’ai délaissé Midtown, ses grands buildings de verre et d’acier écrasant l’imperturbable cathédrale Saint-Patrick, les rues résonnant d’employés de bureau pressés, de touristes ébahis et de klaxons énervés.
Mes pas me mènent à présent à deux blocs de Madison Square Park, à l’ombre du Flatiron Building – ce charmant immeuble construit en 1902 en forme de fer à repasser. Combien de fois ai-je traversé ce carrefour flanqué à sa gauche de l’adorable Park sans me douter qu’un jour, j’y serai quotidiennement.
Comme lorsque je travaillais, au tout début, à l’angle de la 57ème rue et de la 8ème avenue, j’ai testé plusieurs parcours différents. Je me souviens qu’au bout de plusieurs semaines de trajet éprouvant le long de cette avenue grouillante, j’avais besoin d’air frais. J’avais troqué la 8ème avenue pour la 9ème.
Il y a trois mois, j’ai d’abord commencé classiquement par descendre la 8ème avenue, dépassant Penn Station et la monumentale Poste Centrale dont les marches ont été depuis longtemps abandonnées aux pigeons et à quelques rares mouettes. Le fronton de cet imposant bâtiment blanc porte étonnamment le nom du Cardinal de Richelieu. En effet, William Mitchell Kendall, l’architecte de cet édifice, a voulu ainsi rendre hommage aux illustres personnes qui à travers le monde, ont participé au développement du service de la Poste. Ainsi, le Cardinal de Richelieu aurait contribué fortement au développement du service public de la Poste. D’autres Français côtoient les hauteurs de cette bâtisse : on retrouve Louis XI et Pierre d’Almeras.
J’ai abandonné ce premier parcours quand je n’ai plus pu composer avec les grappes de voyageurs recrachés par Penn Station, la saleté des trottoirs de cette avenue et les tristes vitrines de commerces abandonnés.
Le parcours définitif est une combinaison de plusieurs trajets qui alternent selon les feux de circulation et avec pour objectif principal de laisser le plus rapidement derrière moi la 8ème avenue.
Je bifurque généralement dès la 40ème ou la 39ème rue vers la 7ème avenue. Non pas que la 7ème avenue soit beaucoup plus calme mais j’aime croiser l’immense sculpture du tailleur penché sur sa machine à coudre (The Garment Worker). Je la trouve particulièrement touchante car elle est un ilot de calme et de concentration dans une mer agitée et désordonnée. Cette sculpture de Judith Weller est un hommage à l’art et à l’artisanat de la 7ème avenue dont le surnom est l’Avenue de la Mode.
Hélas, cette mode s’est d’abord développée par la production de vêtements pour les esclaves des plantations du sud des Etats-Unis. Puis, ensuite pour les marins et les trappeurs. Jusqu’à la deuxième partie du 19ème siècle, les Américains fabriquaient eux-mêmes leurs vêtements ou alors avaient assez d’argent pour s’en offrir sur-mesure. Aujourd’hui, la production vestimentaire est ailleurs, les tailleurs ont déserté et les ateliers ont fermé. Il ne reste que ce travailleur solitaire, immigrant juif d’Europe de l’Est qui travaille sans cesse à l’ombre d’une seconde sculpture : Une immense aiguille piquant un bouton. Le bouton semble tenir en équilibre comme si le geste était interrompu. Je me revois alors petite et moins petite regarder avec fascination ma mère coudre.
J’aime particulièrement ces sculptures car elles offrent un rapide condensé de l’histoire des Etats-Unis de l’esclavage à l’immigration et donne à imaginer la vie trépidante à New-York au tournant du siècle.
Je continue mon chemin vers le sud de l’ile de Manhattan et j’atteins bientôt la monstrueuse Penn Station, gare ferroviaire aux allures de verrue dont les écrans géants qui habillent sa façade peinent à masquer la laideur.
C’est un sujet controversé car beaucoup de New-Yorkais historiques regrettent amèrement la destruction de l’ancienne gare – similaire semble-t-il à Grand Central.
Le carrefour de la 34ème rue au nord de la Gare est particulièrement bruyant entre les sifflets des agents de la circulation qui tournoient au centre dans leur gilet réfléchissant, les freins stridents du bus M34 qui coupe en deux l’Ile de l’East River au Javits Center à l’ouest (Parc des Expositions) et les élucubrations sonores des personnes sans abri dont l’imaginaire a pris le pas sur la triste réalité. Dans leur visage que le flot de travailleurs évite soigneusement je scrute les traits en pensant à Mark et en redoutant de le voir ainsi.
Je vois bientôt au loin le bâtiment de béton du Fashion Institute of Technology, à la fois école et galerie d’expositions (si vous aimez les belles choses, leur mini-musée est une bonne alternative aux musées bondés de l’Upper East Side). Je n’ai qu’un rapide regard pour les fresques murales réalisés par les élèves sur les flancs du bâtiment (je les admirerai le soir lorsque j’effectuerai le trajet en sens inverse).
Je tourne à gauche sur la 28ème et j’atteins là le clou de ma randonnée.
Après le tumulte de la ville, le gris des édifices, je me plonge avec délectation dans un jardin d’Eden urbain. Je suis enfin dans le Flower District de New-York. Mon pas se fait plus lent et tous mes sens sont en éveil. Je souris aux fleuristes qui s’activent certainement depuis l’aube, un sécateur dans une main, un tuyau d’arrosage dans l’autre. Le coin est un paradis de couleurs et de parfums. On y trouve des succulentes, des plantes exotiques, des légumes sur pied, des bouquets aux mille couleurs. Au milieu de toute cette effervescence, deux petits chats paressent, indifférents aux éclats de voix et de couleurs. La saveur sucrée d’un jasmin aux délicates fleurs blanches me permet de traverser sereinement la 23ème rue. Un bloc plus loin, je pousse les portes de mon bureau, après avoir pris une grande respiration.
Mia et moi avons bien aimé le récit de tes pérégrinations!
Merci pour cette promenade, tu nous fais visiter à distance ! J’ai hâte d’aller voir le flower district !