Nous repartons de Lake Powell sous une chaleur matinale implacable. Notre objectif : rejoindre la rive sud du Grand Canyon.
La route 89 descend vers le sud de l’Arizona en traversant la Réserve Hopi. Les Hopi sont les habitants de cette région depuis des milliers d’années et entretiennent un rapport particulier à cette terre, ayant conclu un engagement fort avec Maasaw – le protecteur de la planète dans leurs croyances. Ils sont très protecteurs de leur culture – qu’ils veulent vivante –, de leur langue et de leurs convictions religieuses. Le chef du Conseil tribal – Timothy L. Nuvangyaoma -, ancien pompier est quelqu’un de très engagé dans la défense de son peuple. Il œuvre notamment activement pour le rapatriement des artefacts et autres objets culturels Hopi au sein de la Réserve. Ainsi en 2018, le Musée National finlandais a rendu les œuvres qu’il avait en sa possession.
Clark W. Tenakhongva, l’adjoint du chef du Conseil tribal, s’est exprimé le 21 octobre 2019 en soutien au Grand Canyon Centennial Protection Act. Cette loi, proposée par le député d’Arizona Raul Grijalva, vise à protéger une zone d’un peu plus de 4000 kilomètres carrés autour du Grand Canyon, convoitée par des entreprises d’extraction d’uranium et d’imposer une interdiction de prospecter.
Clark W. Tenakhongva rappelle dans son discours à quel point les Premières Nations ont une intime connaissance de la terre et des ravages que des appétits cupides peuvent provoquer sur la biodiversité et les habitats.
En effet, à Maricopa Point, dans les années 50 une première mine d’uranium a été creusée et les flots en aval ont été contaminés. Depuis, plusieurs mines ont été ouvertes et continuent d’opérer. C’est un rappel salutaire pour le voyageur qui, comme nous, peut considérer les merveilles qu’il parcourt comme acquises.
La loi a été adoptée au Congrès le 30 octobre 2019 (227 députés démocrates ont voté pour et 183 députés républicains ont voté contre). Elle n’a jamais été adoptée par le Sénat. Les demandes d’exploration sont pour le moment en suspens mais les mines déjà en activité continuent de polluer.
Debra Haaland – Secrétaire à l’Intérieur de l’administration Biden – avait soutenu cette loi devant le Congrès en 2019. A présent qu’une de ses responsabilités est la gestion des ressources naturelles, le contrôle de leur exploitation et la protection des terres publiques, on peut se prendre à espérer.
Sur la route 89, nous croisons des visages de personnes indigènes collés sur les portes fatiguées d’un transformateur électrique. Des grappes de mobile-homes ponctuent un horizon sinon désert.
Nous arrivons au Cameron Trading Post aux airs de Bagdad Café après avoir dépassé un immense panneau « Stop Covid-19 ». La route la plus directe est fermée. Le mot d’ordre est de préserver le plus possible les populations natives du virus mortel alors que les Etats-Unis déplorent alors plus de 140 000 morts (aujourd’hui, on compte 555 000 morts dues au Covid 19 aux USA).
Nous longeons un immense motel abandonné et délabré près des Gray Mountains. La nature y a repris ses droits et des artistes se sont exprimés sur ses murs.
Anasazi Inn
Après une pause pour découvrir de plus près ces empreintes artistiques, nous continuons notre périple vers la rive sud. L’idée étant d’arriver avant la nuit.
Texte de Winona LaDuke – activiste et femme politique ojibwé americaine Texte de Winona LaDuke
Mais lors d’un road trip, la route est rarement linéaire et bientôt un panneau routier indique à notre gauche le Wupatki National Monument. On ne résiste pas.
La route jusqu’au Monument est longue et on craint un instant de s’être égarés puis le paysage change passant des plaines désertiques à des vallons herbeux. Au loin, des montagnes d’un noir profond ponctuent l’horizon.
Nous nous arrêtons aux premières ruines qui attestent de la présence millénaire des peuples Pueblo : Lomaki et Box Canyon. Nous sommes seuls et on se sent vraiment tout petit face à tant d’histoire. Parcourir les ruines de maisons autrefois habitées, embrasser du regard des paysages d’une beauté à couper le souffle et qui furent longtemps les pâturages du bétail des tribus natives rend nécessairement humble.
Les maisons étaient construites avec les matériaux locaux, du grès et de la roche calcaire et du terreau pour consolider les pierres entre elles. Un trou central au plafond permettaient d’évacuer les vapeurs de la cuisine ou autre et servaient d’accès à la maison.
Box Canyon, en contrebas, servait de champ cultivé où le maïs, la courge et les fèves poussaient.
Box Canyon
Nous traversons ensuite Antelope Prairie pour rejoindre le Centre d’information – où nous récupérons un petit dépliant – et les deux sites de Wupatki Pueblo et Wukoki Pueblo.
Cette zone habitée par le peuple Pueblo depuis au moins les années 1000 a connu une histoire mouvementée…géologiquement. En effet, les premiers habitants ont vécu un monstrueux tremblement de terre accompagné d’une éruption qu’on imagine extraordinaire. Elle a forcé les fermiers à quitter leurs terres qu’ils cultivaient depuis 400 ans. Il a fallu attendre plusieurs générations pour que les familles reviennent habiter sur les lieux. Peu à peu, elles ont été suivies par la faune et la flore qui ont dû s’habituer à vivre sur des roches volcaniques couvertes de lave.
Le long du chemin autour du site de Wupatki Pueblo, on croise plusieurs types de plantes natives.
Ces peuples ont donc développé des systèmes de subsistance et d’échange afin de s’adapter à cette terre hostile avare en eau et balayée par les éléments. Wukoki (en langue hopi signifie « grande maison ») témoigne par son architecture et par les objets retrouvés dans les vestiges des riches échanges entre les différentes tribus de la région.
Plaza qui selon les archéologues servait à la cuisine et aux jeux d’enfants
Les vestiges, extrêmement bien conservés, surprennent par leur taille car on y découvre des maisons à étages dont l’une d’entre compte près de 100 pièces.
On apprend que les villageois partageaient l’eau, la nourriture et les habitations. Ils se réunissaient pour prier et organiser des cérémonies religieuses et s’offraient mutuellement protection. Cela leur permettait de prospérer ensemble dans cet univers inhospitalier.
Terrain de jeux de ballon
Après la première éruption volcanique, ces peuples continuèrent de planter et moissonner sur ces sols pendant une centaine d’années avant d’émigrer vers les Mesas (où vit aujourd’hui le peuple Hopi) ou au sud de Verde Valley.
Les archéologues estiment qu’entre 1100 et 1200 la communauté de Wukoki a grossi pour atteindre plusieurs milliers de membres. Son emplacement lui permettait de devenir un centre commercial et religieux actif. Son positionnement en hauteur lui offrait aussi une vue imprenable sur tous les alentours.
Les ruines, témoignant d’un peuple fort et prospère, sont très émouvantes.
Un ranger vient à notre rencontre pour répondre à nos éventuelles questions. Baby Boy lui demande si les ruines ont été découvertes en l’état, tant le niveau de conservation est impressionnant. Le ranger, flegmatique, lui répond : « le terme de « découverte » est le point de vue de l’occidental car cela n’a jamais été perdu ». Baby Boy lui sourit et lui confirme à quel point il a raison. S’en suit une conversation sur les techniques de construction des maisons.
Le soleil amorce sa descente vers le sommeil et nous reprenons la route non pas vers la rive sud du Grand Canyon qui décidément devra attendre mais vers le fameux volcan : Sunset Crater Volcano National Monument.
Le paysage est stupéfiant. La flore a réussi à revivre sur les flancs noirs de lave des montagnes et collines.
Il y a mille ans, une sorte de cône de plus de 300 mètres émergea là où les forêts s’épanouissaient. La lave dévasta 260 kilomètres carrés de terre cultivable. Les Premières Nations considèrent cette terre comme sacrée car le lieu de l’alliance du monde d’en-deca et du monde d’ici. Peu d’objets ont été retrouvés dans les vestiges sous la lave. Les archéologues estiment donc que les habitants avaient anticipé l’éruption soit en observant des changements de comportement chez les animaux soit en étudiant les tremblements de la terre.
Nous décidons de suivre un petit sentier de randonnée, le Lava Flow Trail qui forme une boucle à la base du volcan.
La flore est fascinante. On retrouve des trembles mais aussi des pins Ponderosa, des yuccas, des gutierrezie faux-sarothra, des chrysothamnus viscidiflorus et mes préférées tant leur délicatesse me touche : les Apache Plume.
Pin Ponderosa Tremble Yucca Scarlet Gilia Fourwing Saltbush gutierrezie faux-sarothra Skunkbush Sumac Green Rabbitbrush Beggar’s Blanket Apache Plume Apache Plume
Nous dînons sur le pouce devant le coucher de soleil. Je fais encore un tour du site et slalome entre les roches volcaniques et d’autres pierres couvertes de lichen.
Mais le soleil est couché, le lieu est drapé de noir et il nous faut rejoindre la rive sud du Grand Canyon.
Merci pour ce très bel article, hyper documenté une fois encore.
Tout est beau dans ton récit, très émouvant. Je reprends deux phrases de ton texte qui m’ont enchantées ” On apprend que les villageois partageaient l’eau, la nourriture et les habitations. Ils S’OFFRAIENT MUTUELLEMENT protection, cela leur permettait de prospérer ensemble dans cet univers inhospitalier”. On est tellement loin de cette vision pour notre avenir. Peut-être l’Afrique nous sauvera un jour !…
Oui, les Apaches Plumes sont très beaux, très délicats…
Sur la route 89, on pourrait faire un poster du portrait de la femme au visage si tendre, donnant à boire au bel animal assoiffé.
Bravo !!!!!!!!!!!
Article encore une fois merveilleusement écrit. Nous fait voyager avec des splendides phots pour illustrer.😁👌😍
Comme d’habitude article merveilleusement écrit, il permet de voyager et de découvrir des paysages et des histoires. Photos magnifiques qui font rêver😍😁😁merci