Nous avons atterri à Nashville avec l’idée de découvrir la ville pendant quelques jours avant de récupérer notre camping-car et de partir sur les routes.

 L’objectif premier était de rejoindre les Ozarks aux Great Smoky Mountains, d’aller de l’Ouest vers l’Est, de parcourir la route de l’Oklahoma à la Caroline du Nord. Plusieurs tableaux Excel et études de carte plus tard, nous avons revu nos ambitions à la baisse. Nous n’avions qu’un mois et les distances sont beaucoup plus importantes qu’il n’y parait.

Nashville est une de ces villes américaines dont seule l’évocation du nom me fascine car il est porteur de plusieurs images forgées par les lectures, la musique et les films américains.

En effet, Nashville est la capitale nationale de la musique. Enfin, de la musique Country ! N’étant pas fan de ce style musical, je pariais plutôt sur une découverte de la ville sous l’angle architectural ou historique. Je me trompais : visiter Nashville c’est être plongé dans la musique même à son corps défendant !

La première journée fut assez déstabilisante car nous venions d’un New York prudent en temps de pandémie avec des jauges pour les restaurants, les cafés et les musées et des théâtres encore fermés. A Nashville, point de pandémie. Les bars, en pleine journée, installaient des baffles sur le trottoir pour inonder les rues des airs populaires du moment, les terrasses débordaient de jeunes gens (et moins jeunes) en goguette et point de masque à l’horizon. Nous faisions figure de trublions à cacher la moitié de notre visage.

Nous avons tout d’abord descendu la rue du Député John Lewis (en hommage au député et militant des Droits Civiques John Lewis, natif d’Alabama, qui a fait ses études universitaires à Nashville). Cela permet de passer par plusieurs points névralgiques de la ville.

Nous longeons le Country Music Hall of Fame (nous ne nous y sommes pas arrêtés…). Des posters géants de Taylor Swift et d’autres stars de Country habillent la façade.

A gauche, il y a le stade Bridgestone aux couleurs de l’équipe de hockey locale – les Predators de Nashville. Les rues se remplissent dramatiquement avant d’arriver à Broadway.

Broadway semble être le lieu de perdition de la ville où les restaurants et les bars avec musiciens maison s’alignent en rang d’oignons de chaque côté de la rue. Nous regardons, complètement hypnotisés, le tumulte autour de nous. Nos oreilles bourdonnent et nos yeux sont attirés par toutes les enseignes lumineuses qui  décorent les façades des immeubles en brique rousse.

Lorsque nos sens reviennent à la raison, d’un regard, nous décidons avec Baby Boy de quitter au plus vite ce vacarme. Mais c’est sans compter Demi-Portion qui regarde, aimantée, les doigts d’un guitariste caresser les cordes de sa guitare sur une scène installée dans un bar. Elle, au moins, a compris tout de suite l’esprit de la ville !

Nous finissons par rejoindre à pied le Musée de l’Etat du Tennessee, en passant par le Capitole. Nous découvrons alors une ville d’une riche architecture et parsemée de jolis parcs. La promenade arborée derrière le Capitole est particulièrement agréable. Baby Boy y fera même une petite sieste.

En entrant dans l’impressionnant bâtiment abritant le Musée nous ne nous attendions pas à autant de richesses. Une chose est sûre : l’Histoire du Tennessee est riche et mouvementée.

Comme toujours, la muséographie est superbement exécutée.

On y apprend que les premières traces humaines au Tennessee remontent à l’âge de glace. L’homme s’est adapté aux changements climatiques en évoluant de groupes de chasseurs-cueilleurs (le mastodonte est la seule espèce vraiment associée avec la chasse au Tennessee même si des restes d’autres espèces ont été découverts par les archéologues) vers des communautés fermières.

Pour en savoir plus sur l’Histoire de l’Etat, c’est  !

Nous repartons en nous arrêtant à nouveau devant le Capitole pour prendre des photos. Pour la petite histoire, l’architecte de Philadelphie, William Strickland, qui dessina le bâtiment était tellement fier de son œuvre qu’il demanda et obtenu d’être enterré derrière un des murs de cet imposant édifice à l’architecture Greek Revival. Le 11ème Président des Etats-Unis, James Polk, et sa femme sont également enterrés dans la bâtisse.

Nous passons devant l’Hôtel Hermitage dont les détails architecturaux sont à couper le souffle. Son histoire est toute aussi intéressante. Le 18 août 1920, le Tennessee devint le 36ème Etat à ratifier le 19ème amendement de la Constitution américaine. Cet amendement donne le droit de vote à toutes les femmes dans l’ensemble de l’Union. Il fallait que 36 Etats ratissent cet amendement pour qu’il soit adopté. Grâce au vote du Tennessee, ce fut chose faite.

Après des semaines d’intense lobbying par les différents leaders politiques nationaux, le Tennessee  ratifie l’amendement par une voix. Les quartiers généraux, à la fois des suffragistes portant des roses jaunes et des anti-suffragistes portant des roses rouges étaient établis à l’Hôtel Hermitage. L’ambiance dans la salle du petit-déjeuner devait être électrique !

En rentrant vers le centre de la ville nous nous baladons sur le bord du fleuve (cette région du fleuve Cumberland aussi appelé au début de la colonisation « The French Lick ») plutôt bien aménagé sur une portion du sentier sous un soleil descendant mais encore bien chaud. Nous faisons un détour par les rues moins empruntées par la foule. Nos oreilles se reposent.         

                  A savoir: The French Lick, où se trouve aujourd’hui Nashville, était un lieu reputé pour la chasse de gibier, et ce bien avant qu’un Européen pose le pied sur cette terre. En 1710, un commerçant français, Jean de Charleville, établi à la Nouvelle-Orleans, occupa un fort déserté par une tribu Shawnee sur le fleuve Cumberland et le transforma en entrepôt. Bientôt, ce fut le centre d’échanges commerciaux mais surtout un avant-poste pour les Français désireux de s’accaparer des terres fertiles en partenariat avec les communautés indigènes et de s’opposer ainsi aux vélléités britanniques d’expansion.

Le lendemain, puisque Nashville est la capitale de la musique, nous décidons de nous y adonner mais selon nos goûts. Nous décidons de visiter d’abord le nouveau Musée national de Musique Afro-Américaine. Le bâtiment est à l’angle de John Lewis et Broadway au milieu du tumulte des bars à musique tonitruante.

Pour cause de pandémie, les billets sont à réserver en avance et pour un certain créneau horaire.

Le Musée est immense et retrace la musique afro-américaine depuis les chants d’esclaves jusqu’au Hip-Hop en passant par les styles musicaux influencés par la musique afro-américaine comme le rock and roll.
L’exposition s’ouvre sur une citation de Federika Bremer. Federika Bremer fut une grande activiste féministe suédoise du 19ème siècle. Que fait-elle donc dans un Musée à Nashville consacré à la musique afro-américaine ? Inspirée par Tocqueville, elle voyagea énormément aux Etats-Unis allant au contact des communautés minoritaires comme les esclaves ou les tribus des Premières Nations. Elle visite également des prisons et conduisit de longs entretiens avec des détenus pour nourrir sa réflexion sur le système pénitentiaire en Suède. C’est ainsi, qu’avec un œil presque sociologique, elle a pu observer les communautés d’esclaves et rapporter ses impressions. Elle écrit alors qu’ « ils chantaient avec toute leur âme et tout leur corps, à l’unisson. Leur corps s’agitait, leur tête hochait, leurs pieds tapaient le sol, leurs genoux tremblaient, leurs coudes et leurs mains tapaient en rythme. »

Les esclaves, arrachés aux côtes d’Afrique de l’Ouest et rejoignant les côtes américaines, amenaient avec eux les rythmes des chants de leur communauté africaine. Forcés ou très fortement encouragés à se convertir au Christianisme (notamment dans le Nord des Etats-Unis car dans le Sud toute éducation quelle qu’elle soit fournie à un esclave était considérée comme multipliant le risque d’évasion et donc interdite), les esclaves ont modelé les cantiques et les psaumes européens en y introduisant des techniques de chant d’Afrique de l’Ouest, comme le call-and-response (l’appel et la réponse) ou le ring shout (le cri de sonnerie où le chanteur frappe des mains et des pieds). Ce sont des techniques que nous retrouvons dans le gospel afro-américain par exemple. Lorsqu’en 1740, venu d’Angleterre, un mouvement puissant de réforme religieuse, « le Grand Réveil », encouragea une pratique plus sensible de la religion, avec l’intégration de cantiques plus rythmés et plus poétiques, ce fut dans le but de convertir en masse le maximum d’esclaves.

Pour le gospel, la figure phare est James Cleveland qui introduisit dans ces chants des éléments jazz et pop. Il fonda le Gospel Music Workshop of America à Detroit. Il collabora notamment avec la grande Aretha Franklin.

C’est du gospel afro-américain qu’est né le Blues dans un Sud peinant à sortir de la Guerre civile et de ses fondements. Robert Randolph, plus tard, dira « Il y a beaucoup de dépression, plein de choses qui se passent dans le monde et on voulait seulement avoir le Blues. Beaucoup d’entre nous venaient d’endroits différents, croyaient en différentes choses  mais il n’était question que d’amour et de respect ».

Le gospel afro-américain, cependant, ne se développa vraiment à grande échelle que dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale.

Puis plus tard, sur fond de lutte des Droits Civiques, il influença la musique Folk et là, je pense notamment à Joan Baez qui chanta « We Shall Overcome » aux côtés de Martin Luther King Jr à Washington pendant la Grande Marche.

Le Musée développe plusieurs méthodes pour que le visiteur puisse s’immerger dans les différents styles de musique. Il y a des écrans interactifs, des panneaux, des photos, des vidéos. Les salles ont chacune leur propre ambiance selon la musique qu’on peut y écouter.

On passe donc de la voix rocailleuse de Ma Rainey, dont le maquillage ruisselle sur son visage, à la puissance novatrice du saxophone de John Coltrane dans son magistral Alabama (inclus bien-évidemment par mes soins dans notre playlist pour ce road-trip). On passe également de Johnny Lee Hooker et sa musique blues électrique à Arthur Crudup (qu’on connait grâce au tube d’Elvis Presley That’s alright Mama – également dans notre playlist), en croisant aussi Jimmie Rodgers dont la musique country fut profondément influencée par le Blues des artistes afro-américains du Sud.

On côtoie alors Billie Holliday, Duke Ellington, Thelonious Monk, Archie Shepp, Muddy Waters, Ornette Coleman, Miles Davis, Charles Mingus, Sonny Rollins, Roy Eldridge, Charlie Christian, Benny Goodman.

On continue alors pour se retrouver dans le Detroit des années 60 aux côtés de l’immense Berry Gordy qui fonda le label de musique Motwon Records. On danse alors sur les rythmes entraînants des Supremes, de Mary Wells, des Temptations, de Marvin Gaye, des Vandellas, de Smokey Robinson, des Commodores, des Marvellettes ou de Stevie Wonder. Sans oublier les engagements politiques du label soit à travers ses artistes (L’inoubliable What’s going on de Marvin Gaye) soit en publiant les discours de Martin Luther King Jr ou de Malcolm X.

Enfin, nous arrivons aux salles consacrées au Hip-Hop avec des citations aux murs de DJ Kool Herc ou de Grand Master Flash avec cette définition du hip-hop qui pourrait convenir finalement à tous les genres de musique dont nous venons de parcourir l’histoire :

« Ce que j’ai trouvé attirant c’est le fait que le hip-hop emprunte à tout autre genre de musique, le recrée, le reforme, le réarrange et y ajoute de la poésie. C’est ça le hip-hop ».

Pour terminer la journée, nous rejoignons les grandes tables en bois d’une brasserie artisanale Tennessee Brew Works dans le quartier de Pie Town. Le quartier doit son nom à sa forme : un triangle délimité par Lafayette Street à droite, l’autoroute 31 à gauche et l’autoroute 40 au sud. Mais il ne faut pas se laisser effrayer par d’éventuels bruits du trafic routier car la brasserie est nichée dans un petit nid où on n’entend que les éclats de rire des voisins de table et les verres qui s’entrechoquent.

Les bières et les cidres y sont très bons !

Nous y avons rencontré un des propriétaires, venu dîner en famille. Très gentiment, il nous a offert des masques frappés du logo de sa brasserie.

Le lendemain, nous consacrons notre matinée à la découverte du Musée de Johnny Cash car nous ne pouvions certainement pas venir à Nashville sans saluer ce monument de la musique country. Je ne me souviens plus ce qui m’a poussée il y a des années à écouter et aimer Johnny Cash. Ses rythmes entraînants, son engagement contre le système pénitentiaire ? Quoiqu’il en soit, son musée ne déçoit pas et a même réussi à convertir Baby Boy à sa musique.

Nous sommes repartis, Baby Boy, Demi-Portion et moi des mélodies plein la tête et le cœur chantant Ring of Fire.

En sortant, nous avons longé le bord du fleuve par la 1st Avenue, en rejoignant le Parc du Bicentenaire, désert. Là, a été recréée une réplique de ce qui a dû être Fort Nashborough. Ce sont des baraquements en rondins de bois, assez hauts. Les premiers colons ont trouvé ici des champs d’arundinaria, sorte de bambou propre aux rives des fleuves du Sud-Est des Etats-Unis. Les Premières Nations, qui ont établi leurs communautés le long du fleuve et de ses affluents, cultivaient majoritairement du maïs et extrayaient le sel des sources d’eau salées proches de leurs campements. Elles utilisaient principalement cette denrée dans leurs échanges commerciaux.
D’ailleurs, les routes commerciales reliaient ces terres à la côte atlantique et au Golfe du Mexique. D’autres denrées étaient également échangées comme les coquillages qui étaient aussi utilisés lors de cérémonies ou transformés en bijoux. Les Cherokee ont remplacé ceux que les chercheurs ont appelés les Mississippiens, eux-mêmes remplacés par les Shawnee, les Delaware et les Chickasaws.

En 1775, la terre entre le fleuve Ohio et le fleuve Cumberland (80 000 km carrés) fut allouée à Richard Henderson, un spéculateur foncier de Caroline du Nord. Tsiyu Gunsini ou Canoë Traîné (Dragging Canoe), un jeune combattant Cherokee, s’opposa bien évidemment au vol de cette terre et établit des avant-postes tout le long de la crique Chickamauga (proche de l’actuelle ville Chattanooga). Il combattit sans relâche les colonies de 1780  à 1790.

Il faut également s’imaginer que les bords du fleuve, aujourd’hui aménagés de manière moderne autour du béton, étaient des endroits où la vie sauvage s’épanouissait en fournissant une subsistance aux tribus installées là.

Aujourd’hui, nous avons surtout rencontré une charmante famille de renards dont les bébés se dégourdissaient les pattes dans les herbes folles face à de magnifiques bâtiments en brique abandonnés.

Entre le 16 octobre et le 4 décembre 1838, des milliers de Cherokees ont été forcés de quitter leurs terres, de traverser le Nashville Toll Bridge (dont les ruines sont à présent sous l’actuel Pont de la Victoire) sous le regard de centaines d’habitants de Nashville qui s’étaient réunis sur une place proche du pont. 4 000 des 15 000 Cherokees déportés sont décédés de maladies, d’épuisement et de malnutrition.

Nous avons continué notre route dont le but ultime était de découvrir des fresques murales car si Nashville est connue pour la musique, elle est aussi le havre de plusieurs artistes peintres de rue.

En passant sous le pont du boulevard Rosa Parks, nous sommes tombés sans transition sur un véritable hameau de tentes où des personnes sans abri ont recréé un semblant de bourgade.

A la fin de notre marche, nous un soleil persistant et dans un Germantown plus très animé, nous nous arrêtons dans une brasserie de bières, la Bearded Iris Brewing. Les boissons, délicieuses, se dégustent sur une mezzanine en bois accolée à la brasserie. L’ambiance y est chaleureuse et le décor un peu suranné entre les cuves à bière.

Nous repartons, entre chien et loup, vers notre hôtel. Sous le pont du boulevard Rosa Parks, le calme est revenu, les conversations sont des chuchotements et la nuit se prépare sous des abris de fortune.

Pour notre quatrième journée à Nashville, nous décidons d’explorer le quartier au nord-ouest de la rue John Lewis. Nous passons devant l’ancien Hôtel des Douanes dont la première pierre fut posée en 1877 par le Président des Etats-Unis de l’époque, Rutherford B. Hayes en personne. Le bâtiment fut conçu par l’architecte en chef du Trésor américain, W.A Potter, dont la mission était de dessiner les bâtiments fédéraux. Cet Hôtel des Douanes abritait en 1882 les agents en charge de récolter les revenus des douanes et certains impôts mais également des cours de justice et le principal bureau de poste de Nashville. Il fut agrandi successivement en 1903 et en 1916. En 1976, devenu superfétatoire, le gouvernement fédéral en a confié la propriété à la ville de Nashville. Ce bâtiment de style haut gothique victorien fut vendu à une société privée qui le réaménagea en bureaux. Les fenêtres en ogive, les trois arches de l’entrée principale et l’immense tour à horloge sont particulièrement impressionnantes.

En face se trouve également un bâtiment magnifique, la première école publique de Nashville, l’Ecole Hume. Elle ouvrit le 26 février 1855. 12 professeurs y officiaient pour l’ensemble des niveaux, ce qui semble particulièrement ambitieux par rapports aux standards actuels et même de l’époque car en 1874, les classes du lycée furent transférées dans un bâtiment proche, l’Ecole Fogg.

Un peu plus loin se trouve la gare de l’Union, transformée en 1986 en hôtel de luxe. Ce bâtiment de style roman commandé par la Compagnie de Chemin de Fer Louisville & Nashville Railroad fut conçu en 1900 par le Chef Ingénieur de la Compagnie, Richard Montfort. Fait de marbre et de roche calcaire, ce bâtiment d’un blanc éclatant célèbre un peu le temps de l’apogée du voyage ferroviaire.

Nous terminons la journée par une visite de la Distillerie Corsair, accueillie par la pétillante Amy et un ironique « Welcome to the Bible Belt ». Les cheveux tenus par une barrette à fleurs, un masque à fleurs sur le visage, habillée d’une minirobe à fleurs et des Doc Martens, Amy nous explique les différentes étapes de fabrication du whisky et du gin. Nous clôturons la visite par une dégustation et nous tombons amoureux de leur American Single Malt Whiskey et de leur American Rye Malt Whiskey. On repart avec 3 bouteilles.

Cela promet des soirées joyeuses dans le camping-car !