Faire ses courses aux États-Unis? C’est un sport de combat qui nécessite endurance, résilience et calme et qui peut apporter, une fois maîtrisé, bien-être, recul et sérénité.
Je suis Française, j’adore manger, je suis titulaire d’un CAP Cuisine et ce n’est pourtant qu’une fois aux États-Unis que je me suis rendue compte de l’immense richesse de notre gastronomie nationale et du plaisir intense que cela pouvait provoquer. J’ai toujours adoré le shopping et notamment ce qu’on appelle ici le « grocery shopping ».
C’est, pour moi, un véritable sport : j’y prends goût, j’arpente les allées de supermarchés, parfois haletante à la recherche DU produit, je m’assigne des défis, célèbre silencieusement mes petites victoires quand je mets la main sur le dernier bidon de lait d’avoine bio à 4.59$, j’en ressors vidée mais contente.
Joe Cross, dans un très bon article, décrit les trois étapes de son installation à New York en tant qu’expatrié. Il a vécu pendant les 8 premières semaines ce qu’il appelle une lune de miel en ayant tout de suite un sentiment d’appartenance. De mon côté, je n’ai pas vécu ces 8 premières semaines ainsi. J’oscillais plutôt entre les larmes, un sentiment fort d’extranéité et l’impuissance. Cela était dû à plusieurs facteurs, comme le fait de ne plus avoir mes repères classiques, de ne pas avoir de permis de travail, de ne pas savoir comment recréer une vie sociale et aussi beaucoup le fait d’être complètement perdue dans les allées des supermarchés. Joe Cross le souligne lui –même en mentionnant qu’au supermarché, il s’émerveillait du choix immense de beurre de cacahuète et des toutes nouvelles marques.
Je suis bien évidemment curieuse en cuisine et j’ai scruté avec attention toutes les étagères de produits, les packagings, les slogans marketing, les listes d’ingrédients, les suggestions de recettes…mais à un moment donné, il fallait nous nourrir, Baby Boy et moi, et face à ce nouveau continent culinaire, j’ai perdu pied.
Lorsqu’il s’agit de cuisiner aux États-Unis, il faut considérer plusieurs aspects.
Tout d’abord, il y a plusieurs types d’endroits où vous pouvez faire vos courses aux États-Unis :
– Les liquor stores qui sont majoritairement dédiés à la vente d’alcool, comme leur nom l’indique, mais qui servent également d’épicerie du coin ou parfois hélas de supermarchés pour les familles pauvres dans le dramatique trio pauvreté-obésité-problèmes de santé
– Les convenience stores, type CVS, Walgreens ou Rite Aid, sont des petits magasins qui vendent les produits du quotidien dans un contexte de dépannage. Il vous manque les 120 grammes de sucre pour préparer vos cupcakes, vous les trouverez facilement dans ces magasins. En revanche, l’idée n’est pas d’y faire le plein de courses pour la semaine, notamment parce que les prix sont vraiment élevés.
– Les supermarchés « classiques », comme ShopRite (à un quart d’heure à pied de chez moi) ou Meijer (Sur 8 mile à Detroit) ou Fairways. D’apparence inoffensive, ils recèlent en fait une capacité infinie à multiplier les rayons sans ordre logique, à stocker des produits là où vous ne penseriez jamais les trouver – les œufs dans un frigidaire sachant qu’un œuf se conserve à température ambiante et que les chocs thermiques fragilisent le travail de protection de la coquille – ou alors l’absence totale de produits incontournables – la crème fraîche !
– Les Hypermarchés – type Walmart ou Target – qui sont finalement des magasins généralistes qui vous proposent les produits d’épicerie (ce qu’ils appellent de manière optimiste les « meal solutions ») mais également des vêtements ou des jeux et où les vendeurs, hélas pas formés, ne sauraient vous dire où est la confiture car ils ne connaissent pas le mot en anglais. Je croyais humblement que c’était de la responsabilité de l’entreprise de former ses employés et d’assurer leur employabilité. En même temps, dans un contexte où ces salariés se battent pour avoir un salaire décent (15$ de l’heure au lieu des 9$ actuels), savoir dire « confiture » en anglais paraît bien dérisoire.
– Les magasins bobo type Trader Joe ou Whole Foods qui se proclame le supermarché le plus sain des États-Unis. C’est certain, on y trouve de beaux et bons produits, souvent bio mais aussi très chers comme un avocat bio à 2.79$, 400g de poulet bio à 7$, 12 œufs à 5$, 400 grammes de fromage à 30$, 400 grammes de choux de Bruxelles à 4$, 400 grammes de saumon d’élevage à 14$, une poire bio à 1.50$…
Pour être heureux en faisant ses courses dans les supermarchés aux États-Unis, il faut pousser l’entraînement sportif un poil plus loin en ne se contentant pas de courir dans les allées d’un seul magasin et de lever des poids dans un seul rayon de produits laitiers mais de parcourir plusieurs terrains d’échauffement avant de trouver le Graal qui selon le jour et l’envie peut se trouver à Shoprite à Hoboken ou à Trader Joe à Clifton, ou à Whole Foods à Union Square ou enfin à Fairways dans l’Upper East Side.
Deuxièmement, j’ai découvert que très souvent les légumes et les fruits étaient vendus à la livre (environ 450 grammes). J’ai toujours été habituée à acheter mes fruits et légumes au kilo sur les marchés de la capitale française. Petit exercice mathématique à ma portée : cela signifie très concrètement que le kilo de choux de Bruxelles me revient à plus de 9 $.
En revanche, le paquet de chips de 255 grammes est à 1.9$, la saucisse de porc (« variétés associées » – miam, tout un poème) de 455 grammes est à 2.5$, 2 paquets de gâteaux au chocolat de 450 grammes chacun sont à 4.5$ et 15 pizza rolls (sorte de petits boudins de pizza) sont à 0.95$.
Mais heureusement, à ShopRite, il y a une diététicienne qui est là pour répondre à vos questions, organiser des cours de cuisine et vous aider à faire vos courses. Seulement, quand vous gagnez entre 7.15$ et 9$ de l’heure, le choix est rapidement fait.
Enfin, selon le « guide de survie alimentaire » d’Estelle Tracy – il m’a été d’un vrai secours car je me suis sentie moins seule – il faut plusieurs années pour être totalement à l’aise dans le choix des ingrédients.
Pour une amatrice de cuisine qui n’a jamais rien de tout préparé dans son frigo, l’absence de « matières premières » essentielles a été un vrai tourment.
Il a fallu que je me repère dans les produits laitiers.
Comprendre les catégories de lait et leur conservation a été une première étape. Aux États-Unis, le lait est pasteurisé et non UHT, ce qui limite le temps de conservation. Les appellations sont également différentes : nous avons le whole milk (lait entier), le 2% fat milk (qu’on pourrait associer à du lait demi-écrémé mais si le 2% n’est pas immédiatement intuitif) et le 0% fat milk ou skim milk (lait écrémé). Le lait de vache est bien évidemment conservé dans des frigos comme le lait d’amande, de riz, de soja mais pas comme le lait d’avoine, de quinoa ou de coco que vous trouverez à un autre rayon – soit le rayon des produits diététiques, soit celui des produits bio, soit enfin celui des produits exotiques.
Vient ensuite toute la catégorie des crèmes : sour cream, cream cheese, heavy cream, whipping cream, cottage cheese et Half&Half. Je vous épargne les multiples sous-divisions de ces produits selon le niveau de gras, l’arôme, la texture.
La crème fraîche, telle que nous la connaissons, est très difficile à trouver. Je suis déjà rentrée pleine d’espoir dans des supermarchés, revendiquant sur leur prospectus commerciaux la vente de crème fraîche, et m’être retrouvée pendant 10 bonnes minutes à scruter de droite à gauche puis de gauche à droite, de haut en bas puis de bas en haut le rayon des produits laitiers ou des produits « artisanaux » pour m’entendre finalement dire que ce produit n’existait pas dans les rayons. Baby Boy a fini par en trouver dans un Trader Joe, au fond du New Jersey, à 30 minutes en voiture de la maison. Mais je suis prête à tous les sacrifices pour une quiche digne de ce nom !
L’autre rayon intéressant est le rayon des fromages et de la viande. Il existe en fait plusieurs rayons pour la viande et le fromage. Soit vous cherchez ces aliments pour préparer des snacks et ils vous seront donc proposés en tranches, à droite en rentrant dans le magasin. Soit, vous cherchez des morceaux de fromage et de viande (parce que vous ne vous nourrissez pas exclusivement de sandwichs) et là, ça se corse ! Le fromage en morceaux est soit anglo-américain et se trouve entre les produits laitiers et les jus d’orange frais, soit il est étranger (français ou italien) et se trouve à l’entrée du magasin dans un rayon bucolique (feuilles en plastique vert fluo et petits tapis en paille). Pour la viande, même chose, cela va dépendre bien évidemment de l’animal concerné et ensuite du traitement de cette viande (cured, non-cured, smoked, bio ou élevé en batterie…).
Enfin, l’autre rayon de prédilection pour moi est le rayon des préparations pâtissières. Il existe 4 types de farine et vous trouverez tous les types de sucre nécessaires (vergeoise, semoule, glace,…). En revanche, on ne trouve pas de sucre vanillé.
Dépitée, je m’étais alors tournée vers les extraits de vanille, citron et consorts. Alors que je m’apprêtais, un soir, à ajouter deux gouttes d’extraits de vanille dans mon appareil à financiers, je sens une forte odeur d’alcool. Je découvre stupéfaite que dans l’extrait de vanille naturelle, il y a 35% d’alcool, dans l’extrait de citron pur, il y en a 85% et dans l’extrait de menthe poivrée pure 91% ! Cela donne une toute autre perspective aux goûters d’anniversaire où les enfants s’acharnent sur une pinata qui n’a rien demandé.
Les Américains sont aussi très friands, et ça arrive sur les rayons français, des préparations pâtissières toutes prêtes avec un choix infini de « toppings » aux couleurs de l’arc-en-ciel. Je conseille toutefois de fuir ces préparations tout comme les pâtes toutes faites, difficiles à trouver sauf dans le rayon surgelé, et produites sans beurre (un crime de lèse-majesté pour un palais français).
Ce qu’il faut retenir c’est le choix impressionnant proposé par les supermarchés américains en termes de déclinaisons de produits. Le supermarché américain est une plongée dans un univers coloré, surprenant, éprouvant parfois mais toujours fascinant.
Je me suis depuis abonnée à Taste of Home pour apprendre à cuisiner sans crème fraîche ni sucre vanillé !
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