Nous sommes dans le sud-ouest de l’Utah, dans un coin semi-désertique, entouré de montagnes. La source d’eau est la Virgin River qui traverse impétueusement Zion plus au nord et qui entoure Grafton.
C’est le cadre parfait pour situer l’histoire d’une poignée de colons mormons dont la destinée est l’exemple même de l’histoire des Mormons sur ce territoire.
On accède à ce hameau fantôme au bout d’une route caillouteuse. Il ne reste plus grand-chose de la bourgade de 1859 et des espoirs de 5 familles venues s’installer ici. Ce sont les Barneys, les Davies, les McFates, les Platts et les Shirts, guidés par Nathan Tenney qui ont tenté de moissonner ces terres arides.
Le mythe fondateur Mormon – qui a très certainement beaucoup d’ancrage dans la réalité – veut qu’en 1847 un groupe de colons épuisés par la longue exploration vers l’Ouest, se tenait devant Emigration Canyon à l’est de Salt Lake City et écoutait, galvanisé, les propos de leur chef Brigham Young. Celui-ci leur aurait déclaré qu’ils devaient établir sur ces terres leur communauté, au sein de laquelle ils pourraient pratiquer leur culte en toute liberté.
Entre 1847 et 1900, les Mormons se dispersèrent et créèrent environ 500 villages dans tout l’Ouest américain (appartenant alors au Mexique) afin d’imposer leur présence sur ces lieux et leur possession de ces terres. Seulement, ils devaient s’assurer de leur autonomie alimentaire et financière. Pour cela, il leur faudrait pouvoir irriguer des terres arables et sur le territoire choisi par Young, l’eau et des terres arables n’étaient pas légion. Surtout, les Premières Nations présentes sur ce territoire exploitaient déjà les ressources pour leur propre survie.
Le Mormonisme estime que les Etats-Unis sont la terre promise et que les membres des Premières Nations sont une tribu égarée d’Israël qui aurait émigré en Amérique du Nord en des temps immémoriaux. Cette tribu, les Lamanites, aurait dévié du droit chemin tracé par Dieu. Pour les punir, Dieu les auraient réduit à une existence médiocre et les aurait affublés d’une peau sombre…Eh oui, dans le Mormonisme aussi la peau blanche est le Graal ! Pour retrouver leur peau blanche, les Lamanites devront suivre les enseignements du Christ. Les Mormons, sous l’égide de John Smith puis de Brigham Young, se considèrent donc comme les sauveurs des Premières Nations et cherchent à les convertir le plus rapidement possible.
Cela ne se passe pas toujours bien surtout dans un contexte où les ressources pour la survie sont rares.
Mais des Mormons, laborieux, volontaires et ambitieux, établissent leur communauté le long de la Virgin River et se mettent à transformer la terre, tracent des sillons d’irrigation (comme on l’a vu à Capitol Reef) en s’appropriant toute source d’eau, clôturent leurs terres et la déboisent. Les tribus Ute, tout d’abord accueillantes, lancent des raids contre les localités mormones pour reprendre leur dû.
Brigham Young conseille d’abord à ses disciples de ne pas provoquer les membres des Premières Nations mais autorise assez vite les expéditions punitives à leur encontre. Cela devint assez vite des attaques contre les tribus qui refusaient de céder leurs terres. Les Mormons justifiaient ces attaques en partant du principe que s’ils refusaient de donner leurs terres, ils ne répondaient pas à l’appel du Christ et devaient donc être châtiés. Brigham Young encourageait même ses adeptes à acheter des membres de Premières Nations ayant été réduits en esclavage par les autres puissances (Mexique) ou par d’autres tribus afin de les convertir. En réalité, ces esclaves, souvent de jeunes enfants, ne faisaient que changer de maître et les Mormons les utilisaient comme main d’œuvre gratuite. Mais l’esclavage n’était pas nouveau pour les Mormons qui avaient fui vers l’Ouest en emmenant des esclaves noirs.
En 1862, lorsque le Congrès rendit l’esclavage illégal, la majorité des esclaves natifs tenta de retourner dans sa communauté d’origine, certains demeurèrent dans les familles mormones.
L’Histoire se trouve parfaitement illustrée à Grafton. En 1859, sous l’impulsion de Brigham Young, nos 5 familles plantèrent tellement de coton la première année que peu de terres purent être allouées à la culture de maïs et de sucre de canne ou à d’autres aliments. Les années suivantes, elles firent attention à cultiver les terres de sorte à pouvoir subvenir à leurs besoins primaires. Tout alla bien jusqu’en janvier 1962 lorsqu’une inondation violente détruisit la majorité du village de Grafton.
Un habitant de Virgin – bourgade proche – écrivit que « les maisons de Grafton-le-Vieux flottaient avec les meubles, les vêtements et toutes les affaires des habitants. Certaines des affaires ont pu être extirpées de l’eau, comme 3 tonneaux de mélasse. »
Les 5 familles établirent un nouveau campement en amont de leur premier village et reprirent leurs activités agricoles mais la vie n’était pas facile entre les raids des tribus natives, les débordements de la Virgin River et la terre sableuse. Les habitants firent contre mauvaise fortune bon cœur et tenaient un bal musette tous les vendredis soirs. Certains colons mormons de Salt Lake City déménagèrent même à Grafton. En 1864, on comptait 168 habitants dans ce hameau.
Eglise et école du village Maison de John et Ellen Wood Maison d’Alonzo H. Russel construite en adobe. Il y a vecu de 1862 à 1910. Les derniers occupants de la maison en sont partis en 1945
Mais deux ans plus tard, Grafton fut désertée sur ordre de Brigham Young que les raids meurtriers des tribus natives contre les colonies mormones effrayaient. C’est ce qu’on appelle la Black Hawk War (une série d’événements sanglants plutôt qu’une guerre).
Les Mormons se trouvaient entre les tribus Ute – qui avaient prospéré sur ces terres pendant des décennies avant que les colons n’arrivent et maintenant mourraient de faim – et les Navajo vivant au sud du fleuve Colorado et qui entendaient bien demeurer sur leurs terres.
Brigham Young ordonna donc de regrouper les communautés éparses pour former des groupes d’au moins 150 hommes (donc sans compter les femmes et les enfants). Les habitants de Grafton rejoignirent Rockville à un peu moins de 6 kilomètres de là.
Les fermiers de Grafton revenaient quotidiennement sur leurs terres pour semer, moissonner et récolter et en 1868 ils revinrent définitivement à Grafton. En 1896, l’Utah devint un Etat des Etats-Unis et Grafton prospéra jusqu’en 1906 lorsqu’un barrage détourna l’eau de la Virgin River 30 kilomètres plus au sud. La plupart des familles de Grafton déménagèrent donc à Hurricane – 35 kilomètres à l’ouest.
Et Grafton devint un village fantôme témoignant d’une histoire passée mais dont les conséquences sont bien visibles dans la société actuelle.
Ton récit est extraordinairement passionnant. Tes explications claires donnent à réfléchir sur le partage surtout lorsqu’il y a peu à partager ; comment vivre ensemble surtout lorsque le poison de la religion s’en mêle et celui de la couleur de la peau… Cela donne à réfléchir sur notre condition d’être humain !
J’ai vraiment beaucoup aimé.
Bravo également pour la qualité de tes photos.