Je suis une amatrice très fidèle de Humans of New York (HONY pour les intimes) sur Facebook et quand j’ai su qu’il y avait une dédicace au Barnes & Noble de Union Square (l’équivalent de la Fnac du Forum des Halles), je me suis dit que je ne pouvais pas rater l’occasion, surtout que cela ferait un très joli cadeau à ma grande sœur.
J’aime beaucoup ces histoires courtes où l’image complète tellement bien le texte et transmet parfois de vives émotions. J’ai déjà beaucoup pleuré, je me suis identifiée, j’ai réfléchi, en lisant ces histoires et je pense que c’est là la force d’un tel projet. Chaque personne retrouve un petit bout de soi, de son histoire ou expérimente des émotions particulières en prenant connaissance de chaque vignette.
En rentrant de Rahway, j’ai donc filé au sud de Manhattan pour retirer le précieux sésame qui me permettrait de me rendre à la dédicace le soir même. J’ai entendu une caissière informant son client que la dédicace était à 6 heures mais que comme ils appliquaient la politique du premier arrivé-premier assis, elle lui conseillait d’arriver à 4 heures. Je suis arrivée à 3 heures vingt avec une demi bouteille d’eau et le livre de Chimamanda Ngozi Adichie. Très vite, la soif et la faim ont commencé sournoisement leur travail de sape et à 5h30, j’avais du mal à tenir sur ma chaise en plastique. J’oscillais entre les réflexions d’Obinze face à l’annonce soudaine du retour à Lagos d’Ifemelu, mon fil d’actualité de Facebook et l’observation de mes compagnons. La salle s’est remplie très vite.
Des personnages figurant dans le dernier bouquin Humans of New York prenaient également place sur les sièges réservés des premiers rangs sous les regards excités et les chuchotements saccadés de mes congénères. Un rapide tour d’horizon m’appris que la plupart était venue en groupe ou en couple. Je me suis encore plus mise en retrait.
Au rang devant nous, un gros monsieur d’une soixantaine d’année s’est retourné vers ma voisine qui feuilletait le livre de photographies pour lui dire de regarder page 416. Et bien-sûr, c’était pour lui montrer qu’il était une sorte de célébrité. Avec une lueur de fierté dans les yeux et un air d’humilité sur les lèvres, il a crié : « I am in the book ! ». Ma voisine a commencé à s’exclamer d’une voix stridente : « Oh yeah, you are in the book !!! (oui, c’est ce que vient de te dire le monsieur), That’s awesome ! ». La personne à côté du monsieur s’est également retournée et a commenté la photo en faisant part de son émotion d’être ici.
Et là, spontanément, une communauté s’est créée sous mes yeux. Ils ont commencé à échanger leurs avis sur les dernières publications de HONY sur Facebook. La deuxième femme nous a dit à quel point certaines publications la faisaient pleurer et comment elle se réveillait chaque matin avec ces histoires. Propos qu’elle aura l’occasion de répéter, avec des trémolos dans la voix, à Brandon Stanton lors de la séance des questions/réponses. Je suis retournée aux aventures d’Ifemelu dans son salon de coiffure.
Après quelques minutes de lecture, j’ai levé les yeux pour réaliser que Carrie Bradshaw était un phénomène unique à New York. Seule elle, savait et pouvait marcher avec des talons de 12 centimètres à Manhattan. Je m’en étais déjà rendue compte en heurtant plusieurs fois le pavé avec la pointe de mon pied et en m’amusant à compter le nombre de talons de chaussures (5 centimètres maximum) éraflés. J’ai arrêté quand je n’ai plus eu de doigt ni d’orteil pour compter.
Certes, on peut apprécier le port de tongs un 15 octobre en se réjouissant de l’été indien qui ne finit pas, surtout en ces jours de commémoration. Mais on est quand même bien loin, entre les tongs, les espadrilles et les chaussures de chantier, du style new-yorkais de Sex and the City.
Mon attention a ensuite été attirée par une vieille dame très apprêtée et maquillée qui se faisait prendre en photo en mimant des poses de starlette. De mon poste d’observateur, je venais d’assister en l’espace de quelques minutes à deux occurrences du fameux quart-d’heure de célébrité warholien.
Brandon Stanton a fini par arriver et j’ai cru qu’ Obama ou le Pape ou Bruce Springsteen avait fait son apparition. Les gens se sont levés, ont crié, ont tapé dans leurs mains, ont lancé des hourras et bientôt mon champ de vision a été obscurci par des dizaines et des dizaines de téléphones portables faisant office d’appareils photos.
Je me suis sentie très étrangère à ce déferlement d’émotions. J’ai pensé aux rencontres de la FNAC et à la déférence silencieuse qu’on y observe. Là, j’étais entourée d’adolescents de 30 ans et plus. La jeune femme à côté de moi était toutes dents dehors, l’Iphone tenu très haut pour essayer de photographier l’auteur et le petit Luis qui l’accompagnait.
Les Américains me donnent l’impression d’avoir éternellement cette capacité enfantine à s’émerveiller de tout et à trouver, sinon le bonheur, le contentement et la satisfaction dans des petits riens du quotidien. Sommes-nous trop blasés sur le Vieux Continent?
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