Je commence ma journée de travail sous un soleil de plomb avec pour objectif principal de préparer la paie pour l’ensemble des collaborateurs. Je vérifie, vérifie de nouveau puis fais des vérifications croisées et des vérifications aléatoires des chiffres pour être sûre que chacun reçoive le montant juste de sa paie.
J’essaie aussi de comprendre comment les taxes sont calculées, entre les taxes fédérales, celles de l’État de New York, les charges patronales… Pour obtenir des informations, j’ai le choix:
– Google avec les opinions du premier hurluberlu du coin
ou
– Mes amis de l’IRS. L’IRS (Internal Revenue Service) est tout un poème!
Quand je commence à prévenir mes collègues qu’il ne faudra pas me déranger pendant les prochaines 24 heures car j’appelle l’IRS, je plaisante à peine… Après avoir composé le numéro, vous avez une multitude d’options: “si vous appelez en tant que contribuable individuel, tapez 1…. si vous appelez en tant que représentant d’entreprise et que vous avez une réclamation concernant des impôts d’une année précédente, tapez le 9…si aucune des options proposées ne correspond à votre demande et que vous voulez être mis en relation avec un agent, tapez le 0”.
Je mémorise cette dernière option, en cas d’extrême nécessité, mais appuie fébrilement sur le 9 de mon téléphone. Une voix mécanique m’informe que pour des raisons de sécurité, de traçabilité et de service, mon appel peut être enregistré et surveillé. Bon attention, il ne faut pas que je dise de conneries! Mais je finis par me rendre compte que j’ai le temps de tourner 120 fois ma langue dans ma bouche avant qu’on me réponde.
Après avoir attendu 62 minutes, j’ai enfin Mike au téléphone.
1ère question: How can I help you today?* Je débite consciencieusement ma longue liste de questions, avec un large sourire car un sourire, cela s’entend par téléphone et je dois mettre Mike dans les meilleures dispositions.
2ème question: Are you in a position to take any decision regarding taxes for the Company?** Un rapide coup d’œil circulaire m’apprend que je suis en effet la seule à pouvoir prendre ces décisions, mes chefs étant partis en rendez-vous. Je réponds donc avec entrain: Yes, indeed I am!
3ème question: What is your position?*** Euh…Je suis responsable Ressources Humaines, monsieur.
Plus de question: Only a CEO or a CFO is authorized to take decisions on taxes!**** Mike me remercie de mon appel et passe à un autre appel. Damn! Il ne me reste plus qu’à rappeler.
Lorsque je rappelle et que je me fais passer pour le CFO, on me demande si j’appelle concernant les taxes relatives au formulaire I-944 ou I-941. Ben justement, j’appelle pour les deux. Pour le formulaire I-944, on me transfère à un service à Cincinnati, Ohio et pour le formulaire I-941, j’ai le droit de rappeler pour pouvoir parler à un agent de Convington dans le Kentucky. Remarquez, je voyage un peu ainsi.
Cette fois-ci, c’est Aliah qui me répond avec un ton enjoué et après 44 minutes de musique d’ascenseur. Je suis pleine d’espoir. J’expose mes préoccupations et Aliah prend le temps de reformuler puis me dit que pour la section 1 du formulaire I-944, elle peut me répondre. En revanche, pour les sections 2, 3, 4 et 5, quatre de ses collègues se feront un plaisir de me répondre si je les rappelle aux numéros qu’elle me donne.
Un peu décontenancée, je tente un “merci beaucoup, toutefois, il s’agit du même formulaire et mes questions sont très basiques. Dois-je vraiment appeler 4 personnes différentes?” Aliah, déjà moins enjouée, m’explique qu’elle ne s’occupe que de la section 1 du formulaire et qu’elle ne connaît pas les sections suivantes. Le formulaire ne faisant que 4 pages, je me mets à sa place et la remercie en me disant que son job ne doit pas être tous les jours faciles, même à Cincinnati, Ohio.
Je me dis aussi que je ferais aussi bien d’appeler notre comptable qui lui doit savoir comment sont calculées les taxes puisqu’il m’envoie les documents tous les mois.
Mais Jorge ne peut que me répondre que les montants des taxes dans les documents qu’il m’envoie chaque mois sont globaux et que pour comprendre comment ils se décomposent, il faudrait que j’appelle le service des taxes au sein de son entreprise… mais que là, il est 5 heures dans 5 minutes et il doute qu’ils répondront.
Pas de problème, demain est un autre jour!
Je sors du travail et par cette canicule, un petit verre avec des amis dans l’air conditionné d’un café me ferait le plus grand bien. Nous évitons soigneusement la minuscule terrasse pour être loin des passants qui hurlent, des sirènes de pompiers qui déchirent à intervalles réguliers le brouhaha ambiant et des caniches nains qui lèvent la patte sur la ferronnerie de la barrière.
Là, une jeune fille blanche, un peu boutonneuse, nous accueille et nous place, un jeune latino nettoie d’un geste preste la table, un second homme latino nous apporte des verres d’eau qui débordent de glaçons, une seconde fille blanche tatouée vient prendre notre commande, tapote sur sa mini-tablette électronique et nous rapporte les cocktails qu’un homme blanc tatoué et barbu a concoctés et les amuse-bouches qu’un duo d’hommes noirs, aperçus furtivement, a préparés dans l’anonymat de la cuisine au fond du restaurant.
Le second jeune homme latino remplit frénétiquement nos verres d’eau dès qu’il remarque que le niveau baisse. Une fois nos cocktails sirotés jusqu’au fond, je lui fais signe pour avoir la note mais il me répond qu’il n’en a pas la charge et qu’il faut prévenir notre serveuse. Sauf que notre serveuse n’apparaît pas dans mon champ de vision. J’attrape au vol une seconde serveuse qui me répond un peu sèchement que c’est Amanda qui a la responsabilité de notre table et qu’elle ne peut rien faire pour nous.
Après plusieurs longues minutes d’attente, je meurs d’envie de courir dans les cuisines, d’attraper le commis noir, de lui confier la caisse, de demander aux jeunes latinos une longue liste de cocktails à préparer et à servir et enfin, d’envoyer les serveuses prendre les éponges, les serpillières et pourquoi pas les tabliers de cuisine dans l’enfer fumant des fourneaux au fond du restaurant.
Le multi-tâches semble inconnu ici et les working-poors***** sont légion!! Mais ce qui compte, c’est celui qui a accès a la caisse et bien évidemment c’est rarement celui qui a a la peau la plus sombre.
En arrivant à la gare routière pour prendre le bus, je me demande si j’aurai affaire à une personne pour me vendre le ticket zone 2, une seconde personne pour m’indiquer de quel quai partira le bus, une troisième personne pour compter le nombre de passagers dans chaque bus et donc une quatrième personne pour conduire le fameux bus…Eh bien devinez quoi…OUI!!!
Frederick Winslow Taylor se frotte les mains.
* Comment puis-je vous aider aujourd’hui?
**Etes-vous autorisés à prendre une décision au nom de votre entreprise concernant les impôts?
*** Quel est votre rôle dans l’entreprise?
**** Seuls un Directeur ou un Contrôleur financier peut prendre des décisions concernant les impôts
***** travailleurs pauvres
J ‘ai éclaté de rire ma leilou !!!! Lis informations ouvrières please !!!! Transféré à doubidou !!!!