Nous attendons sur le trottoir devant l’hôtel de Nashville, entourées de nos bagages, que Baby Boy revienne avec le camping-car. Il a pris un taxi pour rejoindre le loueur en bordure de la ville. Le chauffeur de taxi, Brandon, entame avec lui une conversation à bâtons rompus.
« J’étais prêt à aller au Canada si nous avions eu un deuxième terme de Trump. Là, ça va. On est revenus à quelque chose de normal. » Il laisse quelques secondes passer et se reprend. « Quoique. Quand on voit les derniers mois au Tennessee avec les lois contre les personnes trans. ».
Brandon fait référence à une série de lois signées par le Gouverneur de l’Etat, Bill Lee, destinées à compliquer gravement la vie des personnes trans et notamment une loi qui bannit les traitements médicaux pour les personnes trans mineures souhaitant effectuer leur transition. « Mais qui fait ça ?! Nier des soins médicaux à des adolescents ?! » Le Tennessee est le deuxième Etat de l’Union à faire passer une telle loi avec l’Arkansas.
Brandon conclut « Et là, ils veulent faire de la Bible, le livre officiel de l’Etat. Mais la Bible c’est à propos d’amour, pas de haine ni de rejet. Ces mecs sont des hypocrites ! »
Le camping-car nettoyé et chargé, nous quittons Nashville et un immense écriteau « Prepare to Meet Thy God » nous salue. Nous sommes bel et ben immergés dans la Bible Belt. Nous dépassons Bowling Green. J’ignore si la notoriété de cette petite ville de 58 000 habitants a traversé l’Atlantique mais de ce côté-ci des vagues, Bowling Green est revenue récemment sur le devant de la scène, bien malgré elle. Rappelons d’abord que cette charmante bourgade fut la capitale du gouvernement confédéré du Kentucky pendant la Guerre de Sécession.
Bowling Green a refait la Une lors d’une énième gaffe de l’administration Trump. Le 2 février 2017, Kellyanne Conway mentionne un « massacre à Bowling Green » qui aurait conduit « l’administration Obama à suspendre le programme de visa à destination des ressortissants irakiens ». Elle affirme ne pas être étonnée que personne, y compris son interlocuteur du moment, ne s’en souvienne car cet événement n’aurait pas l’objet « de couverture médiatique ».
Je me souviens qu’a l’époque je m’étais dit que c’était étrange qu’un massacre perpétré par d’éventuels terroristes irakiens sur le territoire américain n’ai pas été couvert par les medias et que je n’en avais jamais entendu parler. Surtout, cela me paraissait tellement lointain le Kentucky.
Bref, il n’y eut point de massacre à Bowling Green. Deux hommes, d’origine irakienne, résidant aux Etats-Unis avec un visa auraient mené des actions contre les forces américaines sur le sol irakien et auraient fait parvenir des fonds à Al-Qaïda depuis les Etats-Unis. L’administration Obama n’a pas suspendu le programme de visa pour les ressortissants irakiens mais a renforcé le processus pour s’assurer que les visas n’étaient pas attribués à des personnes œuvrant contre les intérêts américains.
Bien évidemment le lendemain, Kellyane Conway, en voulant justifier une « erreur de bonne foi » selon elle, s’est encore plus emmêlé les pinceaux. L’arrestation des deux hommes avait été largement couverte par les médias.
Toutefois, nous ne sommes pas au Kentucky pour cette raison mais pour une étape au Parc National de Mammoth Cave. Nous empruntons la Kentucky Scenic Highway. Nous dépassons des maisons sur pilotis aux auvents fatigués. Un bric-à-brac est laissé là, sur un patio, à vieillir entre deux chaises à bascule d’un autre temps. Des poules ont pris possession du carré de verdure attenant.
D’autres maisons flambant neuves ou alors très bien entretenues côtoient des fermes en déréliction. Un arbre pousse entre les grilles rouillées d’un vieux barbecue maison.
Un vieil Airstream qui n’a pas vu le goudron d’une route depuis des décennies campe sur un terrain aux herbes hautes. La route serpente entre les arbres rose vif sous le soleil couchant. Un signe solitaire Biden President flanque la façade d’une jolie maison.
Nous atteignons enfin le Parc National de Mammoth Cave. On nous promet une découverte étonnante : Mammoth Cave. Une cave souterraine qu’on nous annonce comme étant la plus grande du monde avec l’écosystème le plus divers, vous l’aurez deviné, du monde. Mais point de mammouth.
En effet, plus de 130 formes de vie s’égaient dans cet univers sombre et humide. Avant de rentrer dans la cave, il y a tout un protocole mis en place par les Rangers et l’administration du Parc qui permet de conserver au maximum la vie et les roches souterraines.
Hélas, les visites guidées sont suspendues à cause de Covid et nous devons donc nous contenter du dépliant distribué au début de la visite et des rares panneaux installés le long du parcours. Quelques rangers disséminés (il faut les repérer dans l’obscurité) répondent brièvement aux questions.
Disons-le tout de suite : nous sommes un peu déçus et surtout nous ne comprenons pas pourquoi ce Parc est un Parc National et non un Parc d’Etat. La cave est impressionnante et riche en histoire mais il existe des lieux similaires, plus petits certes, ailleurs aux Etats-Unis et en Europe.
Elle fut la première fois explorée par des êtres humains il y a 4000 ans mais, malgré ses 588 kilomètres balisés, personne ne connaît réellement l’étendue de ses souterrains. On estime que les hommes préhistoriques connaissaient environ 16 kilomètres des passages de la cave où ils récoltaient des cristaux et du sel. Les archéologues estiment que la cave fut ensuite oubliée pendant près de 2000 ans avant d’être redécouverte en 1798.
Les archéologues ont retrouvé des traces d’exploitation de la cave par les tribus indigènes primitives Woodland et on peut voir des torches en canisse de cane exposées et dont ils se servaient pour éclairer leur passage dans la cave.
Lorsque les colons européens sont arrivés dans la région, ils ont à leur tour exploité les ressources de la cave. Ils ont notamment extrait du salpêtre, essentiel à la fabrication de la poudre à canon.
Avant la guerre de 1812, les esclaves étaient contraints d’extraire de grandes quantités de ce corps chimique. C’est en 1816 que la cave devint une attraction touristique et devint pleinement un Parc National en 1941. Stephen Bishop, un esclave qui s’était éduqué seul, fut loué par ses maîtres à l’administration du Parc et en est devenu un guide célèbre. Il fut la première personne connue à explorer les nombreux kilomètres de cette immense cave. Il fut notamment le premier à réussir à traverser le Bottomless Pit. Le Bottomless Pit est un fossé de deux mètres de diamètre et de 32 mètres de profondeur. Ce qui permit d’explorer de nouvelles voies à l’intérieur de la cave.
Alors qu’on chemine doucement dans une semi-obscurité et dans une complète humidité, Demi-Portion s’inquiète de tomber nez-à-nez avec un ogre, à tel point que n’en pouvant plus, elle finit par poser la question à un Ranger perché sur un gros roc. D’abord interloqué, il lui répond très sérieusement qu’il n’en a jamais croisé et que cela fait longtemps qu’il parcourt la cave. Demi-Portion semble rassurée pour le moment.
Au fond d’un autre bras du souterrain, nous rencontrons de drôles de structures blanches et carrées. Ce sont les restes d’une expérimentation médicale. L’hiver 1842, le Docteur Croghan décida d’utiliser la cave pour mener un traitement expérimental contre la tuberculose qui, à l’époque, était l’une des causes principales de décès aux Etats-Unis. Il y convia 16 de ses patients et les installa dans ces fameuses cahutes blanches, construites par des esclaves. Au tout début, la santé des patients sembla s’améliorer. Toutefois, plus l’hiver avançait, plus l’atmosphère froide et humide de la cave aggrava les symptômes des 16 malheureux. L’air était également saturé de la fumée et des cendres des torches qui consumaient du saindoux. Rien de bon pour des poumons déjà éprouvés.
Les repas étaient préparés à l’extérieur par des esclaves. L’un d’eux témoigna : « Je me tenais sur ce rocher, à sonner la cloche pour les convier à dîner. Il y en avait 15 et ils ressemblaient plus à un groupe de squelettes qu’à autre chose. »
Même si le dépliant du site répète à l’envi que la cave doit être visitée comme faisant partie intégrante de l’ensemble du Parc National et que ce serait un sacrilège de ne pas parcourir les sentiers de randonnée du Parc, nous remontons dans le camion une fois sortis de la cave. Nous le regretterons peut-être…
Mammoth Cave National Park
Mammoth Cave National Park Mammoth Cave National Park Mammoth Cave National Park
A la sortie du Parc, de vieilles fermes alignées voisinent avec des magasins abandonnés dont on se demande s’ils ont déjà vu l’ombre d’un client mais deux portraits grandeur nature de Trump, en vitrine, nous laissent à penser qu’ils ont dû être ouverts il n’y a pas si longtemps.
Bientôt, le bâtiment en lattes de bois de l’Eglise de Green Valley éclaire de son blanc virginal la campagne alentour. Les rares pickups qui nous dépassent, le font à vive allure.
Notre destination du soir est The Land Between the Lakes à l’ouest du Kentucky. Nous dormons au camping de Hillman Ferry. Nous ramassons plusieurs pommes de pin pour alimenter le feu du soir et Baby Boy nettoie le camping-car. Nous roulons ensuite quelques mètres à la sortie du camping pour trouver du réseau.
Plusieurs sentiers de randonnée sont aménagés. Nous optons, le lendemain matin, pour le réseau de sentiers de Hillman Heritage. Il suit plusieurs anciennes routes utilisées par la compagnie d’exploitation du calcaire, Star Lime Works. Cette compagnie survécut à beaucoup de changements dans la production et dans la demande de calcaire et de chaux et fut dissoute après 1945, laissant la place à la construction du Kentucky Lake Reservoir.
Nous ne rencontrons pas d’autres marcheurs et le paysage est magnifique. Nous croisons toute une petite faune adorable et une superbe végétation.
The Land between the Lakes The Land between the Lakes
The Land between the Lakes
Le deuxième jour, je suis de corvée de lessive et Baby Boy surveille Demi-Portion et Numéro Bis au parc de jeux pour enfants du camping. D’autres enfants sont là, veillés par leur maman. Baby Boy engage la conversation. Les deux mamans lui apprennent qu’elles sont là avec leur famille pour 14 jours (le maximum autorisé par le camping). Mais avant, elles entament la discussion en remerciant le Seigneur de leur permettre de profiter ainsi de la vie. Elles aiment venir ici au printemps. Elles scolarisent leurs enfants à la maison. Baby Boy demande pourquoi. Il y a des échanges de regards entendus et l’une d’elle lâche « It is a loaded question ». Baby Boy avance « c’est à cause du niveau ? ». Hochement de tête des mamans. « Among other things ».
Leurs maris vont travailler le matin. L’un installe des caméras thermiques (gros boum depuis Covid), l’autre est en charge de teinter les vitres de voitures. L’une a 6 enfants, l’autre 4.
Elles tombent d’accord pour dire « qu’on en fait trop par rapport à Covid ». Elles demandent à Baby Boy comment est la situation à New York. Il répond laconiquement qu’il connaît plusieurs personnes qui en sont mortes ou qui souffrent encore de séquelles. Le silence s’installe.
Alors que je plie le linge, je vois de loin Baby Boy, la partie inférieure du visage caché par le masque offert par le propriétaire d’une brasserie à Nashville. Les cheveux des deux femmes assises sur le banc volent au vent je vois leurs lèvres s’agiter au gré de la conversation lorsque celle-ci reprend.
Common Hornbeam American Hophornbeam Woodland Germander Pawpaw Creeping Phlox Kimberley Queen Fern Common Mullein Poet’s Narcissus
Northern Flicker
Nous reprenons la route le lendemain pour rejoindre à nouveau le Tennessee. Sur la route en direction de Paris (Tennessee), nous sommes ralentis par un tracteur. La route passe par de petites bourgades où les églises baptistes, blanches au clocher pointu et étroit, se succèdent inlassablement entre les champs de colza. John Coltrane nous berce pendant que Demi-Portion et Numéro bis sombrent dans le sommeil. Au loin, d’immenses granges ponctuent irrégulièrement l’horizon.
Les champs de colza du Kentucky
Nous approchons d’Hazel. La route serpente balisée par des grappes de boîtes aux lettres pour des maisons que nous devinons à peine. Alors que cela ronfle à l’arrière, nous décidons de faire une pause une fois Hazel atteinte. Main Street – qui semble être la seule rue du hameau – est bordée de magasins d’antiquités. Nous entrons dans le plus grand et le seul ouvert. C’est une immense caverne d’Ali Baba avec toutes les années représentées même si l’accent est clairement mis sur les années 70, 80. Nous repartons avec quelques trésors. L’unique vendeur et propriétaire des lieux nous remercie de notre visite avec un accent trainant et rugueux.
Hazel, KY – Main Street Hazel, KY – Main Street Hazel, KY – Main Street
Pin’s politiques – Magasin d’antiquités – Hazel, KYPin’s politiques – Magasin d’antiquités – Hazel, KY Pin’s politiques – Magasin d’antiquités – Hazel, KY
Magasin d’antiquités – Hazel, KY Magasin d’antiquités – Hazel, KY
Nous arrivons à Paris – la Capitale mondiale de la Petite Friture. On s’arrête sur le parking de Sonic – chaîne de restaurants de fastfood du Sud des Etats-Unis – pour prendre la photo du panneau et nous repartons.
Nous sommes de retour dans le Tennessee.
Oh c’est décevant !! Peut-être que le Parc avec ses sentiers de randonnée valait le coup? Mais super article!