Par un après-midi venteux et glacial, Baby Boy et moi avons entrepris une visite, hors des sentiers battus, du Parc le plus célèbre de New-York. Central Park est surtout connu pour être le plus grand parc entièrement façonné par la main de l’homme au cœur d’une mégalopole.

En effet, Central Park est le poumon vert de New-York en plein centre de la ville et sépare la partie ouest de la ville de la partie est. Il couvre 3,41 kilomètres carrés et accueille un peu moins de 40 millions de visiteurs chaque année. Il est tellement immense et composé de tellement de coins et recoins, détours et pourtours qu’on peine à en faire le tour complet.

Notre visite a débuté devant l’Arsenal, cube en brique rouge et toit blanc agrémenté de petits détails Gothic Revival. Il a tout d’abord hébergé une armurerie, construite entre 1847 et 1851, avant la construction de Central Park. Cette première fonction est illustrée par la présence d’un aigle flanqué de deux canons et de deux épées croisées. Il a également servi de zoo temporaire, récupérant des animaux amenés en ville puis abandonnés. Aujourd’hui, ce bâtiment, à proximité du zoo du Parc, abrite les locaux du Département des Parcs de la Ville et le centre pour la conservation de la vie sauvage.

Notre visite continue en contournant le zoo et en arrivant devant une petite prairie. Trois styles de paysages rythment l’organisation du Parc : pastoral, pittoresque et formel.

Lorsque Frederick Law Olmsted and Calvert Vaux, tous deux architectes et paysagistes, remportent le concours pour dessiner l’actuel Central Park en 1858, les ascenseurs n’avaient pas encore été inventés et démocratisés et par conséquent les immeubles qui entouraient le domaine du Parc ne dépassaient pas quelques étages. Cet aspect fut fondamental dans l’aménagement du Parc par nos deux compères. En effet, le Parc a été conçu de telle manière que la ville, dans sa configuration d’origine, disparaisse derrière les arbres et les rocs et que le Parc opère comme un véritable havre de sérénité loin de la frénésie urbaine naissante. Mais, tout cela allait changer très vite. En effet, Elisha Otis était déjà à l’époque en train de concevoir et de parfaire son ascenseur.

New York, à l’époque, avait reçu un surnom peu flatteur : Pig City. Effectivement, les cochons s’y promenaient quotidiennement et mangeaient dans les poubelles. Déjà, à cette période, les new-yorkais étaient précurseurs : ils avaient inventé la tendance locavore en tuant et mangeant ces cochons éboueurs. Central Park avait donc comme objectif d’offrir aux New-Yorkais une halte réconfortante loin des conditions de vie horribles de l’époque, les cochons notamment n’étant pas admis dans le Parc. Central Park participa donc de ce mouvement d’embellissement de la ville.

Ainsi, les travaux dans la ville avaient un impact direct sur le Parc. Manhattan signifie en langage Lénape (nom du peuple indigène de la région) île aux nombreuses collines. Pourtant, ce n’est pas le premier aspect de la ville qui frappe l’esprit du visiteur, à part peut-être dans Spanish Harlem. Et pourtant…

Lorsqu’il s’est agi de tracer des rues dans Manhattan selon le plan très précis et rigoureux que nous connaissons, les rocs de schiste qui jalonnaient l’île ont dû être déplacés et/ou morcelés. Ce quadrillage de la ville, commun à beaucoup de grandes villes nord-américaines, doit beaucoup à une approche pragmatique de l’immobilier plutôt qu’à une volonté d’embellissement du territoire. La main d’œuvre surexploitée de l’époque était la population pauvre irlandaise qui peuplait notamment les taudis du sud de l’île. Les ingénieurs civils plantaient dans les rocs des repères en métal marquant l’emplacement d’une future rue. Certains habitants, angoissés à l’idée de voir leur maison ou immeuble disparaître par le tracé d’une rue, s’efforçaient d’arracher ces petits bâtons de métal. Si on est attentif pendant nos promenades solitaires et bucoliques dans Central Park, on peut découvrir au détour d’un chemin sinueux, perché à la pointe d’un gros roc un de ces fameux signaux métalliques.

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Les Irlandais, principalement, travaillaient dans le Parc mais comme tous leurs voisins pauvres du Lower East Side, ils étaient également des visiteurs du Parc. En l’absence de transports en commun, ces habitants du sud de l’île devaient marcher jusqu’à Central Park pour pouvoir profiter de ce havre de paix. C’est donc la partie sud du parc qui propose le plus d’activités pour enfants.

On note notamment la pittoresque maison The Dairy où du lait – en provenance des fermes du nord de l’Etat – était proposé à des prix raisonnables. Les versions varient mais il semblerait que The Dairy ait été construite à la suite d’un scandale de lait contaminé qui tua pendant plusieurs années près de 8000 enfants par an. En 50 ans – de 1800 à 1850 –  la population de Manhattan passa de 60 000 âmes à 500 000 habitants. Cela impliqua bien évidemment la réinstallation des fermes en dehors des frontières de la ville et dans un contexte où la pasteurisation du lait n’existait pas encore et où le transport de denrées n’était pas optimum, il n’était pas rare que le lait arrivât à Manhattan en bien piteuse condition.

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Une autre théorie voudrait que les propriétaires de distilleries à Manhattan nourrissaient les quelques têtes de bétail qu’ils avaient pu conserver avec les grains déjà utilisés pour produire de l’alcool. Les vaches tombaient malades et produisaient un lait bleuté et sans nutriment. Afin de rendre ce lait plus attrayant à l’œil et au palais, les revendeurs de ce liquide y ajoutaient de l’amidon, du plâtre de Paris, de la farine.

Enfin, il ne faut pas négliger l’absence de médecine moderne qui aurait pu permettre de détecter des microbes dans le lait à une époque où les maladies telles que le choléra ou la typhoïde étaient véhiculées par les conduits d’eau « potable » de New York.

Quelques années après sa création,  The Dairy se transforma en restaurant puis en pub et enfin accueille aujourd’hui les touristes.

Vos pas doivent à présent vous amener au Mall, petite promenade bordée de statues, parfaitement rectiligne, unique en son genre dans Central Park. Les statues qui ponctuent le Mall n’étaient pas prévues au départ, dans le plan de Vaux et Olmsted. Elles ont été proposées et financées par divers groupes d’influence, des lobbys. On y retrouve notamment Fitz Greene Halleck, complètement tombé dans l’oubli à présent mais qui fut apprécié de Lincoln et fut un fin observateur des mœurs new-yorkaises dont il en tira des satires. Sa statue fut commandée par un groupe d’éditeurs de journaux et de poètes. Cette statue côtoie d’autres figures littéraires comme Sir Walter Scott, Robert Burns et William Shakespeare. Ce dernier fut le premier dramaturge et écrivain à avoir sa statue sur le Mall. Elle a été notamment financée par Edwin Booth, le plus grand acteur shakespearien des Etats-Unis à l’époque et si son nom vous dit quelque chose, c’est que Booth est aussi le patronyme de l’assassin de Lincoln. En effet, John Wilkes Booth, avant d’être tristement célèbre pour le meurtre d’un président américain, était un bon acteur de théâtre et le frère cadet d’Edwin Booth. Autre fait intéressant, Edwin Booth sauva un jour la vie du fils d’Abraham Lincoln, Robert, en l’empêchant d’être percuté par un train en gare de Jersey City. La boucle est bouclée avec la statue d’Halleck. Comme quoi le monde est vraiment petit.

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A l’époque, aucune statue de femme n’est commandée et installée. Ce manque sera comblé en 2020 par l’installation de deux statues, celles d’Elizabeth Stanton and Susan B. Anthony, suffragettes.

A la sortie du Mall, se trouve une sorte de place avec une espèce de mini tribune en arc-de-cercle. Là se tenaient, les samedis des mois d’été, des concerts. Ces derniers étaient gratuits pour les riches. Les visiteurs pauvres de Central Park, travaillant le samedi, tentèrent de convaincre les organisateurs de prévoir ces concerts le dimanche. Les commissaires décidèrent donc de faire payer les places. Les seules places gratuites étaient celles situées au soleil et dont les chaises étaient fixées au sol. Déjà, on trouvait l’éducation des masses dangereuse pour le statu quo.

En continuant la promenade, nous arrivons à la Navy Terrace, précédée par un superbe escalier et une voûte richement décorée. Notons au passage, les sculptures sur les piliers de l’escalier qui représentent les moments de la journée et de l’année avec un soleil levant, une chouette ou, surprise, une sorcière sur son balai.

 

Le lac, principal élément de la Navy Terrace, est la première chose à être construite. Les commissaires du Parc comptaient en faire un exemple de l’usage des impôts. La statue de l’ange qui surplombe la fontaine Bethesda a été dessinée en 1868 par la sculptrice Emma Stebbins, première femme à exécuter un tel projet pour la ville de New-York. Elle fut présentée aux New-Yorkais en 1873. L’ange fait référence à l’ange du bassin de Bethesda tel que décrit par la Bible et les quatre figures enfantines autour représentent des vertus comme la tempérance. Cet ange, dans son acceptation biblique, guérissait grâce à l’eau de bassin. Cette notion de guérison était particulièrement chère à Emma Stebbins et l’ange qu’elle sculpta a les traits de sa compagne, Charlotte Cushman, alors atteinte d’un cancer du sein. Elles vivaient au sein de ce qu’on appelait à l’époque un mariage bostonien – expression tirée du livre d’Henry James Les Bostoniennes  – c’est-à-dire une relation de confiance entre deux femmes sans nécessairement de rapprochement intime.

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Enfin, nous traversons the Gil, une cascade artificielle où des rocs ont été disposés de manière à respecter la symétrie. Cette cascade est précédée d’un adorable petit pont, le Bow Bridge, l’un des tout premiers ponts en cast iron. De ce pont, nous apercevons le Dakota Building et nos cœurs se serrent.

La visite ne serait pas complète sans un détour par la Ramble Cave  – aujourd’hui inaccessible au public. C’est en construisant un chemin que nos deux compères Olmsted et Vaux ont découvert ce qu’ils ont appelé la cave indienne (référence aux Premières Nations – premières occupantes des lieux). Elle ne faisait bien évidemment pas partie de leur plan initial mais devant déblayer autour, ils décidèrent d’en aménager l’entrée en disposant de gros rocs de chaque côté. Cette promenade en tours et détours se situe entre la 73ème et la 79ème rue et est un exemple de paysage pittoresque voulu par les deux paysagistes car ils ont su recréer un véritable bois où abondent la faune et la flore.

Central Park recèle bien d’autres secrets qu’hélas je ne peux pas encore vous dévoiler… Stay tuned !