Dans le salon privé d’une boutique de luxe sur la 5ème avenue, une de mes anciennes collègues se lamente: “New-York n’est plus New-York”. Je regarde autour de moi et distingue, à travers les grandes fenêtres françaises, les grandes artères de Manhattan, les enseignes prestigieuses, le policier de la circulation et les quelques voitures qui, en cette fin de matinée, semblent avancer sans entrave. Je n’entends pas les habituels klaxons des chauffeurs de taxis excédés, les cris des ouvriers des sempiternels chantiers de construction, les conversations animées des chalands.

Les fenêtres sont ouvertes et laissent passer une agréable brise au coeur d’une journée plutôt chaude. Mon esprit vagabonde alors vers ce que New-York était et ce que la ville est supposée être à present qu’elle a été violemment frappée par une pandémie. 24 000 morts et plus de 263 000 cas de Covid, plus de 80 000 petits commerces vont fermer définitivement leurs portes dans la ville. Certes, New York est une métropole gigantesque mais regorge de petits échoppes et restaurants qui contribuent pour une part considérable à l’esprit de la ville. Les voir disparaître est troublant. Mais je vois cela plutôt comme une opportunité de réinventer une ville.

J’ai fait un rapide sondage auprès de ma famille et de mes amis pour recueillir les quelques mots qui pour eux décrivent le mieux New York. Toutes les personnes interrogées sont déjà venues à New York. La majorité des retours a été autour des monuments : Le Pont de Brooklyn arrive en pole position, puis les Musées et enfin les quartiers, le Bronx et Harlem en tête. Bonne nouvelle, ces monuments vont demeurer dans la ville! Les adjectifs qui reviennent dans le sondage pour qualifier la Grosse Pomme sont intense, énergique, vivant.

Fresque murale dans Harlem

Je ne vais pas vous mentir, New York est beaucoup plus calme. Sur des blocs entiers, les façades de magasins se succèdent sombres, abandonnées, des piles de courrier s’accumulent sur le sol et de grands panneaux “à louer” s’étalent sur les vitrines.

Il y a beaucoup moins de monde dans la rue et dans les transports en commun. Nous ne sommes plus bousculés sur les trottoirs et aucun coude ne se loge férocement dans nos côtes quand nous souhaitons traverser la rue. Il n’y a plus de spectacle de rue ou de danseurs dans les rames de métro qui annoncent leur spectacle par un tonitruant “Showtime!”. Il n’y a plus de prophètes de pacotille s’époumonant à Times Square et les monstrueux écrans de publicités rugissants ont été remplacés par des annonces du type “NY Tough / We are in it together”.

Les Musées peinent à revenir à l’équilibre en se conformant à la règle établie par l’Etat de n’autoriser que 25% de taux d’occupation et redoublent d’ingéniosité pour soutenir quand même la découverte d’oeuvres d’art sans les visiteurs habituels et les touristes. Les théâtres de Broadway restent résolument fermés mais le monde des arts de la scène (théâtre, opéra, mime, stand-up), à genoux certes, trouve plusieurs parades pour pouvoir transmettre ses talents par des représentations virtuelles ou en plein air.

Alors oui, la plupart des gratte-ciels du centre-ville est desertée, des restaurants ont mis la clef sous la porte définitivement, ceux qui ont pu ont fui la ville pour les Hamptons ou les Catskills ou même le Nevada. Quelques groupes de presse ont annoncé à la fin de l’été que plus de 420,000 personnes auraient démenagé de la ville depuis mars (en traquant les demandes de changement d’adresse). Cela représente une augmentation de 100% par rapport à la même période l’année dernière. Cela signifie surtout une forte baisse des recettes fiscales car ceux qui partent sont rarement les plus pauvres. Mais, 420,000 personnes qui abandonnent une ville de plus de 8,3 millions ne représentent finalement que 5% de la population.

Je lis plusieurs articles d’opinion qui affirment qu’il s’agit de la pire crise que New York ait traversé en oubliant l’ouragan Sandy ou la crise financière de 2018 pendant laquelle New York a effectivement perdu des habitants ou les années 80 où un trajet en métro pouvait être votre dernier trajet tout court mais en oubliant aussi la funeste nuit du 16 au 17 octobre 1975. Cette nuit-là, face à l’intransigeance du pouvoir fédéral et certainement à cause d’une gestion désastreuse des finances de la ville sous le patronage du Maire Beame, New-York est passé à deux doigts de la fallite. Les fonds de pension du syndicat des enseignants sont venus à la rescousse à la toute dernière minute; obligés de financer la dette de la ville pour éviter qu’une faillite mette sur la paille leurs bénéficiaires. Mais c’est une histoire pour un autre article!

Alors, est-ce que New-York est morte? New-York s’exprime haut et fort et c’est bien là le signe qu’elle est loin de s’être assoupie pour un dernier sommeil.

Where is the Real NYC? by Pleks dans le quartier de Bushwick à Brooklyn

Je trouve qu’au contraire toute la période qui vient de s’écouler démontre la puissante résilience de New-York. Les gens qui sont partis seront remplacés, la créativité et l’énergie demeurent, l’activisme est omniprésent et c’est une occasion de se réinventer. Alors, comment New-York prend la parole?

De plusieurs manières mais j’ai choisi de partager avec vous les expressions de rue par les fresques murales qui font la palette de la ville.

Les meurtres d’ Ahmaud Arbery, de Breonna Taylor et de George Floyd ainsi que les blessures graves infligées à Jacob Blake par la police ont entraîné des émeutes dans tout le pays, des prises de parole et de conscience et ont continué de polariser une Amérique dangereusement divisée par les actions de l’administration Trump. 164 personnes noires ont été tuées par la police aux Etats-Unis entre le 1er janvier et le 31 août 2020. On peut y ajouter le nom de Deon Kay tué le 2 septembre à Washington DC, celui de Shaon Jermy Ochea Warner tué le 5 septembre dans l’Illinois, celui de Jonathan Darsaw tué le 10 septembre dans le Tennessee, celui de Darrell Zemault Sr tué le 15 septembre au Texas, celui de Dearian Bell tué le 21 septembre en Géorgie, celui de Kurt Reinhold tué le 23 septembre en Californie, celui de Jonathan Price tué le 3 octobre au Texas, celui de Marcellis Stinnette tué le 20 octobre dans l’Illinois et celui de Walter Walace Jr tué le 26 octobre en Pennsylvanie.

Ce sont quelques exemples de la prise de parole populaire et urbaine contre les brutalités policières. ICE a été fondée en 2003 par George W. Bush à la suite des attentats du 11 septembre. Toutefois, elle se distingue aujourd’hui principalement par son action à l’encontre d’immigrants clandestins ou supposés tels. Cette force de police est responsable de la séparation des familles à la frontière sud des Etats-Unis et des arrestations spectaculaires et souvent illégales de travailleurs sans-papier.

La police de New-York est dominée par un puissant syndicat (Police Benevolent Association of the City of New York). Celui-ci, comme tous les syndicats de police des grandes villes américaines, est une force politique dont les dons et les soutiens sont scrutés et parfois recherchés. Par conséquent, les propositions de lois qu’ils appuient ont plus de chance d’être adoptées et les candidats qu’ils soutiennent celle d’être élus. NY PBA est le syndicat de police le plus important, en nombre de membres (24 000 syndiqués) des Etats-Unis. Ce syndicat créé dans les années 1890 pour surtout venir en support aux veuves de policiers n’a pas fait partie des mouvements sociaux pour l’avancée des droits des travailleurs étant donné qu’ils étaient avant tout perçus comme des briseurs de grève. Aujourd’hui, son puissant président Patrick J. Lynch, vient d’être réélu pour un sixième mandat. Fils de flic, il ne souffre aucune contradiction dans l’exercice de son pouvoir et n’hésite pas, dans ses prises de parole, à chatouiller l’hyperbole, l’inexactitue, les contre-vérités. Il a ainsi récemment affirmé que “les militants pro-criminalité ont pris en otage notre ville et notre Etat.” Les militants pro-criminalité dont il parle sont en fait des manifestants pacifiques. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait apporté son soutien personnel et celui de son syndicat à Trump dans la course à la réélection.

Pendant les 4 années de l’administration Trump où les droits des femmes ont été sans cesse menacés – la nomination de la Juge Barrett à la Cour Suprême ne risque pas d’arranger les choses -, où leur place dans l’espace public a été au mieux moquée, au pire réduite et remise en question, les mouvements féministes aux Etats-Unis ont repris du poil de la bête. Je pense à la Marche des Femmes, au mouvement Me Too, aux procès en pagaille contre Trump lui-même et bien évidemment à l’expression artistique.

Les mouvements de défense des Premières Nations ont également gagné plus de visibilité pendant cette période de prise de conscience politique notamment grâce à l’intersectionnalité des luttes.

Trump est bien évidemment la cible principale des activistes urbains.

Au-delà de la dénonciation des maux de la société, les artistes de rue se concentrent également sur l’après, sur les solutions: éduquer et voter.