Nous avançons doucement vers la dernière étape de notre road trip: Grand Canyon mais avant cette ultime étape, nous avons découvert encore bien des trésors.

Nous laissons derrière nous Sand Hollow State Park dans un nuage de poussière créée par le gravier : Les volutes dansent sous la lumière épaisse du soleil. Notre objectif premier est de rejoindre la rive nord du mythique Parc National avant la tombée de la nuit mais, comme tout au long de notre épopée, la nature et l’histoire ont dévié notre route.

Au bout d’une heure (étape lessive à Hurricane), après avoir franchi la frontière entre l’Utah et l’Arizona, le long d’une route déserte et pourtant peu monotone, nous apercevons un panneau indiquant Pipe Spring National Monument. Intrigués, nous tournons à gauche et empruntons une petite route à travers la Réserve de la tribu Kaibab appartenant au groupe des Premières Nations Paiutes. Elle couvre 500 kilomètres carrés et compte environ 200 habitants. Bien évidemment, avant l’arrivée massive des colons européens, leur territoire était beaucoup plus étendu.

Les bâtiments officiels de la Réserve semblent fermés et nous craignons un instant que ce soit le cas du Pipe Spring National Monument. Le Centre d’information est bien fermé pour cause de pandémie mais le site historique se visite. 

Nous apprenons qu’il s’agit d’un ancien campement de Mormons. Il a été imaginé par le Président de l’Eglise Mormone, Brigham Young, comme un avant-poste sur la route de l’Ouest. En 1858, Jacob Hamblin, encouragé par Young, s’arrête à Pipe Spring lors d’un voyage auprès des tribus Hopi.  En 1870, il accompagne le célèbre explorateur John Wesley Powell qui souhaite cartographier la région. Ce dernier dira «  Cela peut sembler étrange mais lors de mes discussions avec les Paiutes, je n’ai jamais réussi à obtenir une vision claire des limites de leur territoire, tant au nord qu’au sud. Leur réponse habituelle est « nos ancêtres ne nous ont jamais parlé de limite de la terre que ce soit vers le nord ou vers le sud. »

Dès la fin du 18ème siècle, la cartographie des terres publiques appartenant aux Etats-Unis s’est faite selon une règle stricte de délimitation rectangulaire nord-sud, est-ouest en ignorant complètement les rivières, collines et montagnes. Le quadrillage des terres selon une grille précise (4000 mètres carrés sur 4000 mètres carrés) se voit très bien sur la zone de Pipe Spring. Les géomètres d’alors ont ainsi joué un rôle fondamental dans la privatisation de ces sols dans l’ouest des Etats-Unis, en morcelant la terre et en outrepassant les paramètres géologiques et les peuples.

Nous retrouvons nos chers genévriers d’Utah, des cactus fleuris et des buissons de sauge. Il y a une volonté de la part des Parcs Nationaux de recréer la végétation présente sur ces terres avant 1850 et l’installation massive de colons. Nous tentons d’imaginer devant ces étendues désertiques de grès de Navajo de hautes herbes ondulant sous la brise. Nous retrouvons cette roche rose pâle – le grès de Navajo – dans toute la région de Zion aux Vermillion Cliffs.

Le premier colon mormon – James M. Whitmore – à s’installer à Pipe Spring, y a amené du bétail et y a construit une première baraque. Il y a aussi planté un verger et des vignes. Mais ce ne fut pas le premier européen sur ces terres. Il fut précédé en 1776 par des missionnaires catholiques espagnols – Francisco Atanasio Dominguez et Silvestre Veles de Escalante venus initialement pour défricher une route menant de Santa Fe à la Californie. Les Paiutes les ont nourris et leur ont donné pour instruction de suivre les sentiers le long du Grand Canyon.

Ce sont les hautes herbes et la présence de points d’eau qui ont attiré les colons mormons dans la région dans les années 1860.

Bien évidemment, les ravages des maladies importées par les colons, les raids de tribus ennemies, la mise en esclavage des femmes et enfants Paiutes par les colons espagnols ont tôt fait de décimer les tribus. Ils n’étaient plus que 1200 dans les années 1860.

C’est Stephen T. Mather, ayant tout juste pris ses fonctions de Directeur du Département des Parcs, qui œuvra pour faire de Pipe Spring un monument national en 1920 et assurer ainsi sa conservation. Il mit la main à la poche comme beaucoup d’autres, notamment l’Eglise mormone. Il avait anticipé les flots de voyageurs de Zion à Grand Canyon et imaginé Pipe Spring comme une étape.
Nous réalisons donc aujourd’hui sa vision.

Nous sommes les seuls visiteurs et prenons notre temps le long du chemin qui grimpe la colline pour admirer la végétation et les paysages qui s’étendent à l’horizon.

Nous sommes entourés de Mormon Tea, aux propriétés décongestionnantes, de Wheat Grass que les membres de la tribu Paiute tressent pour faire des paniers, de cactus raquettes aux fleurs qui se fanent doucement, de pins pignon à l’odeur entêtante et de buissons d’airelles aux feuilles caduques.

Nous reprenons la route vers la rive nord de Grand Canyon que nous atteignons entre chien et loup après une étape à Frédonia (petite bourgade digne d’un western) pour remplir d’essence la bête.

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