Il y a des bouchons à la sortie de Jackson, sur la route de Memphis, alors que Ma Rainey chante de sa voix rugueuse son Deep Moaning Blues.

Nous dépassons un Cracked Barrel, à l’enseigne volontairement vintage, puis un établissement de la chaîne d’hôtels La Quinta, coincé entre une station-service et un Waffle House au jaune pisseux.

Elvis Presley prend le relais. Derrière moi, Demi-Portion reprend phonétiquement le refrain de « that’s alright Mama ». Le panneau du motel Relax Inn avec une chaise à bascule nous le confirme : nous sommes bel et bien dans le Sud.

Au-dessus de l’autoroute, un panneau lumineux prévient les automobilistes que c’est « Operation Slow Down Tennessee ». Personne ne ralentit l’allure.

BB King accompagne notre arrivée à Memphis. Nous dormons dans le camping de T.O Fuller Park. L’entrée dans le parc est majestueuse, la route bordée d’immenses arbres d’un vert vif dont les cimes se rejoignent comme une haie d’honneur.

Le programme est chargé pour les quelques jours que nous passerons à Memphis, surtout depuis que ma maman nous a convaincus de marcher dans les pas d’Elvis Presley.

Nous décidons d’explorer d’abord le Parc d’Etat T.O Fuller. Il doit son nom à Thomas Fuller, auteur et leader des droits civiques au tout début du 20ème siècle. Il fut également pasteur baptiste et sénateur de Caroline du Nord. Le Parc a été construit pour employer le bataillon afro-américain des Civilian Conservation Corps (Programme de l’Administration américaine pour donner du travail aux jeunes gens dans le cadre de grands travaux) pendant la Grande Dépression.

Lors de travaux de terrassement en vue de la construction d’une piscine, les jeunes travailleurs ont découvert des ruines d’un village préhistorique. C’est Chucalissa (« maison abandonnée » en Choctaw). Nous commençons notre exploration de Memphis par ce retour dans l’Histoire.

Les maisons ont depuis longtemps disparu mais les traces des poteaux de fondations de ces habitations permettent aux archéologues de déterminer leur emplacement et leur surface. En évaluant les restes archéologiques (vaisselle, meubles, reliefs de repas) et en comparant avec d’autres sites de fouille, on peut également établir approximativement le nombre d’habitants par foyer. Ainsi, à Chucalissa, les archéologues ont déterminé qu’en moyenne, les logements abritaient quatre adultes et plusieurs enfants.

Quelques maisons ont été reconstituées avec des objets plus récents pour animer l’espace intérieur. Les historiens estiment qu’il y a 700 ans, une centaine de personnes résidaient à Chucalissa. L’âge d’or de Chucalissa se situe entre l’an 1000 et 1600.

On pénètre dans l’une des maisons mais un nid de frelons nous dissuade de nous y attarder.

Le site est désert et écrasé de soleil. Au centre du terrain s’élève un imposant monticule dont le sommet est aplati. On apprend que ces buttes servaient de plateforme pour des temples ou d’autres types de bâtiments publics. Leur construction prenait plusieurs générations et si un bâtiment à son sommet venait à être remplacé, les habitants du village ajoutaient une couche de terre avant de reconstruire. La société Mississipienne était extrêmement hiérarchisée avec à sa tête le chef. Chaque membre de la communauté avait un niveau social bien défini. Les personnes au bas de l’échelle sociale devaient contribuer en biens et en services à la richesse des personnes au sommet de l’échelle. Dans ces sociétés, comme dans l’immense majorité des communautés indigènes d’Amérique, les femmes avaient un rôle prépondérant dans le système politique, en sélectionnant les dirigeants. Peu d’hommes détenaient un quelconque pouvoir sans l’assentiment des femmes. Il s’agissait de sociétés matrilinéaires et les chefs pouvaient très bien être des cheffes.

A travers les objets retrouvés, les archéologues ont estimé que Chucalissa faisaient partie d’un réseau de villages tout le long du Mississipi et en était un centre très actif.

Au pied des marches conduisant au sommet du monticule, une grande esplanade herbeuse s’étend entre trois stries qui la délimitent. Cette grande place était un lieu de rassemblement et loisirs.

Comme dans toutes les communautés indigènes, le maïs, la courge et les fèves dominaient le régime alimentaire des habitants de Chucalissa. Les longues tiges de mais permettaient aux plantes grimpantes des fèves de pousser en s’y adossant et ainsi créaient l’ombre nécessaire aux courges pour s’épanouir correctement. Par ailleurs, le mais est une plante qui a besoin de beaucoup de nitrogène et les racines des fèves en produisent dans le sol. Les populations indigènes avaient une connaissance pointue et intime de la nature et étaient des jardiniers accomplis comme en témoignent tous les outils de jardinage découverts par les archéologues sur le site.

Nous quittons le site pour nous retrouver subitement au pied d’une grange qui semble à demi abandonnée avec une pompe à essence d’un autre temps.  En faisant le tour pour rejoindre la route, nous découvrons un musée. C’est un musée de poche mais foisonnant d’informations et d’objets anciens parfaitement mis en scène. Il reprend toute la chronologie d’occupation de la région de manière très ludique et informative avec une attention particulière portée à la communauté Choctaw.

Nous sommes revenus à pied à notre emplacement de camping en traversant le parc et sa flore magnifique.

Demain, direction la ville !